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écriture de pieds de mouche tout à fait drôle.

— Est-ce que vous en avez par là ? dit madame Humbert.

— Je ne sais pas, répondit le valet de chambre ; je n’ai jamais vu l’écriture de Monsieur que quand il me donnait des petits billets à porter.

— Cré mâtin ! dit Louis en frappant sur la table, que les gens instruits sont heureux ! Penser que j’ai des gueux de parents qui ne m’ont pas seulement appris à écrire et que je manque peut-être ma fortune à cause de cela !

Malgré l’horreur que Luizzi éprouvait à entendre un pareil entretien, l’idée de ce testament lui donna une espérance. Au moment où le cocher frappa sur la table avec violence, il laissa échapper un long soupir, et les trois interlocuteurs épouvantés écoutèrent attentivement.

— Louis, Pierre ! murmura doucement le baron.

— Il n’est pas mort, se dirent tout bas les trois interlocuteurs ; et Pierre, qui était le mieux assuré sur ses jambes, alla tirer le drap du lit de dessus le visage de son maître.

— Ah ! c’est toi, mon bon Pierre ? dit Luizzi comme s’il revenait à lui ; où suis-je donc, et que m’est-il arrivé ?

— Tiens ! dit tout bas madame Humbert, on dirait que la raison lui est revenue.

— Quelle est cette dame ? demanda le baron en s’adressant à Pierre.

— Je suis votre garde-malade, répondit madame Humbert en saluant.

— Il y a donc bien longtemps que je suis en danger ? repartit le baron.

Les domestiques se regardèrent entre eux, n’étant pas très-assurés que ce fût un véritable retour à la raison. Cependant Louis reprit :

— Voilà six semaines que vous êtes au lit, monsieur le baron.

— Et depuis ce temps-là vous me veillez chaque nuit, mes enfants ?

— Ça, c’est vrai, dit Pierre, nous ne nous sommes guère couchés que le jour depuis votre maladie.

— Vous recevrez la récompense de ce zèle, repartit Luizzi, soit que je guérisse, soit que je succombe, car je me sens bien faible.

— J’ai été chercher des sangsues ; si Monsieur en veut, ça le remettra peut-être ?

— Je crois que c’est inutile, dit Luizzi. Je voudrais avant toutes choses pouvoir écrire un mot à mon notaire.

Les domestiques se regardèrent.

— Je ne crains pas la mort, reprit Luizzi : mais enfin on ne sait pas ce qui peut arriver, et il est nécessaire que je mette un peu d’ordre dans mes affaires. Je ne vous oublierai pas, mes enfants, je ne vous oublierai pas.