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fenêtre, et qu’un faible et triste sourire, adressé sans doute au doux visage qui avait paru au carreau, était demeuré sur ses lèvres qu’il avait émues.

À ce moment madame Dilois aperçut Luizzi, le commis de même. Il fit un pas pour s’approcher de l’étranger ; mais il jeta en même temps un coup d’œil sur la maîtresse de la maison, et un signe le rappela à son poste sous la galerie.

Madame Dilois consultait encore son livret ; elle le ferma, le mit dans la poche de son tablier, puis s’accouda sur la galerie en faisant un signe de tête imperceptible. Le jeune homme grimpa rapidement sur quelques ballots de marchandises, de manière à arriver assez près de madame Dilois pour qu’il pût l’entendre malgré le bruit des ouvriers. Elle lui parla bas. Le commis fit un signe d’assentiment, et il se retournait pour obéir, lorsque madame Dilois l’arrêta et ajouta quelques mots en indiquant Luizzi du coin de l’œil. Le commis fit une nouvelle et muette réponse, et, du haut de sa pile de ballots, il cria :

— Trois cents kilos, laines mérinos, Luizzi, au roulage de Castres.

Tous les ouvriers s’arrêtèrent, et l’un d’eux, au visage dur, répondit brusquement :

— Vous ferez la pesée vous-même, monsieur Charles, je ne m’en charge pas ; jamais le compte n’est juste avec ces laines du Diable ; on en expédie cent kilos, et il en arrive quatre-vingt-dix.

— Le Diable a bon dos, répliqua le commis ; tu pèseras les marchandises et le compte y sera, entends-tu ?

— Vous les pèserez, Charles, dit madame Dilois, qui avait vu l’ouvrier se redresser d’un air insolent et le commis le regarder avec menace.

Celui-ci ne répondit que par ce signe d’obéissance qui semblait être son premier langage vis-à-vis de cette femme ; et madame Dilois lui ayant montré Luizzi du regard, il sauta d’un bond jusqu’à terre, puis, s’étant approché du baron, il lui demanda avec politesse ce qu’il désirait.

— Je voudrais parler à monsieur Dilois, répondit Luizzi.

— Il est absent pour toute la semaine, Monsieur. Mais s’il s’agit d’affaires, veuillez entrer dans les bureaux, monsieur le caissier vous répondra.

— Il s’agit d’affaires, en effet ; mais, comme celle que je