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voulais un amoureux, il serait un peu plus actif que toi.

Cette réflexion n’empêcha point madame Humbert d’arranger la table qui était près du lit du baron et d’en approcher deux bons fauteuils, signe non équivoque de l’espérance qu’elle avait de passer encore quelques moments avec le galant valet de chambre.

Nos lecteurs s’étonneront peut-être du silence de Luizzi durant tout cet entretien ; mais nos lecteurs n’oublieront pas que ce n’est point la première fois que Luizzi se trouve en pareille position, ayant derrière lui une lacune de son existence vide de souvenirs. L’éponge glacée qu’on lui avait appliquée sur la face et la menace immédiate de soixante-dix sangsues l’avaient suffisamment averti que, pour peu qu’il s’emportât, il serait traité comme fou. Il comprit également que, dans l’ignorance où il était de ce qui lui était arrivé depuis sa dernière entrevue avec le Diable, il pouvait dire de telles choses qu’il parût véritablement avoir perdu la raison. Il préféra donc garder le silence, et, moitié réfléchissant, moitié écoutant ce qui se disait, il chercha le moyen de sortir de la position gênante où on l’avait placé. Il crut le moment favorable quand il se trouva seul avec madame Humbert, et, pour lui prouver qu’il avait toute sa raison, il se mit à lui parler d’un ton languissant.

— Madame Humbert, j’ai soif.

— Dieu, quelle éponge d’homme ! repartit la garde-malade : il n’y a pas cinq minutes que je vous ai donné à boire.

— Pardon, madame Humbert, reprit doucement Luizzi ; il y a plus de cinq minutes, car voilà une demi-heure que vous causez avec Pierre.

— Tiens ! reprit madame Humbert en prenant une bougie pour mieux voir le baron ; tiens ! si on ne dirait pas qu’il a sa raison, quand il parle comme ça !

— C’est que j’ai toute ma raison, madame Humbert ; et une preuve, c’est que je vous prie de vouloir bien détacher un de mes bras pour m’aider à boire moi-même.

— Bon ! reprit madame Humbert, la même histoire que l’autre jour ; pour me jeter la tisane au nez, et m’arracher un bonnet de seize francs, tout neuf, de l’année dernière ? Tenez, buvez et taisez-vous.

— Je vous jure, madame Humbert, reprit Luizzi, que je ne vous ferai aucun mal et que je suis dans mon bon sens.

— C’est bon, c’est bon, repartit la garde-malade ; buvez d’abord, et puis dormez.

— Qu’est-ce qu’il y a ? dit Pierre en entrant avec une bouteille sous chaque bras, un saladier plein de sucre d’une