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car elle est la fille de ton père, le noble baron de Luizzi…

— Cette enfant était ma sœur ?

— Et Charles était ton frère, autre enfant adultérin abandonné par ton père, le vertueux baron de Luizzi.

— Mais moi, j’ai rencontré tous ces êtres vivants il y a deux mois à peine, j’ai vu Sophie il y a deux mois, et je la retrouve aujourd’hui remariée et méconnaissable. Oh ! c’est impossible, te dis-je, tu me trompes.

— Mon maître, je ne te trompe pas aujourd’hui, mais je t’ai trompé.

— Toi ?

— Tu te souviens du premier jour où nous nous sommes vus et où tu te disais si bon ménager de ta vie : pauvre fou qui me l’as livrée une fois !

— Tu en as pris six semaines, m’as-tu dit.

— J’en ai pris sept ans.

— Sept ans ?

— Il y a sept ans que Lucy est morte, sept ans que Dilois est mort, sept ans que Charles, ton frère, est mort ; il y a sept ans que tu les as assassinés tous les trois avec une plaisanterie.

— Et Laura, Laura ? s’écria Luizzi, dont la tête suffisait à peine à comprendre coup sur coup ces horribles événements.

— Laura, repartit le Diable, il n’y a que douze heures qu’elle est morte, assez martyre dans cette vie pour que Dieu même ne puisse pas la poursuivre au delà du tombeau. L’outrage que tu lui as fait hier a porté le dernier coup à ce courage fatigué ; elle venait ici te raconter cette vie que tu n’aurais pas comprise ; elle a su pourquoi tu n’étais pas chez toi, et chez qui tu étais allé la sacrifier. Il y a douze heures que tu l’as tuée.

— Mais hier au soir, cette femme que j’ai vue là…

— C’était moi, reprit le Diable en riant. Une sorte de pitié m’avait pris pour cette femme, et je suis venu jouer la scène qui aurait eu lieu si elle t’eût attendu. Je m’en suis assez bien tiré, ce me semble ?

— Et cette lettre ?

— C’est un autographe de ma main. Tu pourras en mettre un fac-similé dans tes mémoires.

— Misérable ! misérable que je suis ! s’écria Luizzi. Que de crimes ! que de crimes ! et je ne puis les réparer !

— Tu le peux, repartit le Diable, en caressant Luizzi de la flamme de ses regards, comme une coquette qui veut persuader un niais ; tu le peux, car il te reste encore deux devoirs d’honnête homme à remplir : le premier, de veiller sur l’enfant de ton père, que la malheureuse Sophie a placée dans un couvent ; juge de ce que le monde peut lui réserver de souffrance, par ce qu’ont souffert ses deux sœurs ! Le second, de venger Sophie de l’injure que lui ont faite les amies de madame de Marignon, injure qui a été la cause de tout ce qui arrive ; mais l’oseras-tu, mon maître ?

— Oh ! donne-moi ce pouvoir ! s’écria Luizzi parmi