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Satan obéit, et Luizzi se coucha l’âme satisfaite comme un négociant qui a payé ses échéances, ou comme un aumônier de régiment qui a fait faire la première communion à une douzaine de vieux soldats.


XXII

SUITE DU SECOND FAUTEUIL : CORRESPONDANCE.


Le lundi au matin, Luizzi, en s’éveillant, reçut la lettre suivante :


« Armand,

« Je suis heureuse d’un bonheur que vous ne pouvez imaginer, heureuse d’avoir retrouvé enfin celui à qui je puis tout dire et qui peut tout s’expliquer de ma vie. Ce bonheur m’emporte, car j’avais juré de ne pas révéler ce secret avant que celui qu’il intéresse autant que moi l’eût permis. Mais, en sortant de chez vous, je me suis senti le cœur si plein d’une douce espérance que je n’ai pu attendre. Je vous écris. Je vous écris une étrange confidence, car je n’y mettrai pas les noms de ceux qu’elle concerne ; mais votre cœur, vos souvenirs, vos regrets, je ne veux pas dire vos remords, les devineront. Écoutez-moi donc, Armand, écoutez-moi, vous qui m’avez dit que vous m’aimiez. Vous souvient-il de cette conversation presque folle que nous avons eue hier au bal de l’Opéra, et dans laquelle je vous disais comment une femme qui a une fois oublié ses devoirs peut passer pour les avoir mille fois oubliés ? Eh bien ! aujourd’hui je vais vous apprendre comment une femme qui n’a jamais fait une faute peut être perdue par un concours inouï de circonstances. »


— Hum ! hum ! fit Luizzi à cette phrase, voilà qui me semble un assez joli tour d’adresse. Je voudrais seulement que l’histoire que je vais lire ne fût pas une cinquantième édition des œuvres de madame de Farkley, et qu’elle se fût donné la peine d’en composer une inédite à mon intention.

Après cette observation, Luizzi se posa commodément dans son fauteuil, comme un abonné de cabinet de lecture à qui l’on a envoyé la nouvelle, le conte ou le roman à la mode.