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madame de Farkley.

— Moi, Monsieur, qui ne m’abuse pas ; moi, Monsieur, qui souffre depuis de longues années pour toutes les calomnies dont je suis la victime ; moi, Monsieur, qui veux les mériter une bonne fois, qui vous ai choisi pour cela, et qui suis à vous… si vous osez me prendre.

Cette déclaration si brusque et si formelle prit le baron à l’improviste, et pendant quelques instants il fut très-embarrassé de sa personne. Madame de Farkley se rassit et lui dit avec un triste sourire :

— Je vous disais bien, Monsieur, que vous auriez peur.

— Ce n’est pas le mot, reprit Luizzi cherchant à se remettre ; mais j’avoue qu’un bonheur si grand et si subit me confond, et que j’étais loin de m’attendre…

— Vous mentez, Monsieur, reprit madame de Farkley ; seulement vous le croyiez encore moins facile, et vous comptiez sur les honneurs d’une défense dont vous voyez que je sais m’affranchir.

Luizzi était hors des gonds ; il n’avait imaginé rien de pareil à tant d’impudence, ou bien il ne supposait pas que, si madame de Farkley eût voulu se jouer de lui, elle l’eût fait dans sa maison et à pareille heure. Il resta un moment silencieux, et finit par lui dire :

— En vérité, Madame, je ne vous comprends pas…

— Alors, dit madame de Farkley, il ne me reste plus qu’à me retirer ; seulement, reprit-elle en posant la main sur ses gants, je vous suppose assez d’honneur pour affirmer, de manière à vous faire croire, que la femme qui est entrée chez vous à dix heures du soir, et qui en est sortie à une heure du matin, ne vous a pas cédé, comme on dit qu’elle a cédé à tant d’autres.

Laura se leva comme pour sortir, et dans ce moment Luizzi comprit tout l’immense ridicule dont il allait se couvrir vis-à-vis de cette femme. Il devina aussi que l’impertinence qui avait fait son succès chez madame de Marignon passerait pour une niaiserie parmi ses amis. D’ailleurs, ce qui avait été une impertinence de bon goût à dix heures du soir devenait une brutale grossièreté à minuit. On peut ne pas accepter le rendez-vous d’une jolie femme, mais on ne l’en chasse pas quand on l’y trouve. Il prit donc les mains de madame de Farkley, et, la forçant à se rasseoir au moment où elle allait se lever, il lui dit avec plus de politesse qu’il n’en avait montré jusque-là :

— Je ne sais vraiment quelles folies nous disons-là tous