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Luizzi avait un grand nom et une grande fortune. Les conséquences de cette position furent pour lui d’être recherché par les premières familles de Toulouse, ville féconde en haute noblesse, et d’avoir affaire à plusieurs commerçants de bonne souche. Des liens de parenté éloignée unissaient Armand à M. le marquis du Val. Ce nom, si bourgeois quand il est écrit sans particule, était celui d’une branche cadette d’une ancienne famille princière du pays. L’usage du nom primitif s’était peu à peu perdu, et chacune des branches de cette famille avait gardé, comme nom patronymique, la désignation qui d’abord l’avait fait seulement distinguer des autres. Mais le jour où il fallait faire preuve de bonne ascendance, on produisait dans les contrats ce nom presque oublié, et les H… du Val, les H… du Mont, les H… du Bois se trouvaient de meilleure race, avec leurs noms de marchands, que les marquis et les comtes à qui des surnoms de terres ou de châteaux donnaient un air de grande qualité. D’un autre côté, Luizzi était lié d’intérêt avec le négociant Dilois, marchand de laines : c’était ce Dilois qui achetait d’ordinaire les tontes des magnifiques troupeaux de mérinos qu’on élevait sur les domaines de Luizzi. Avant de livrer la gérance de ses affaires à un intendant, Luizzi voulut connaître par lui-même l’homme qui devenait tous les ans son débiteur pour des sommes considérables, et le jour même de son arrivée à Toulouse, il alla le voir.

Il était trois heures lorsque Armand se dirigea vers la rue de la Pomme, où demeurait Dilois ; il se fit indiquer la maison de ce négociant, et entra, par une porte cochère, dans une cour carrée et entourée de corps de logis assez élevés. Le rez-de-chaussée du fond de la cour et ses deux côtés étaient occupés par des magasins ; celui du corps de bâtiment qui donnait sur la rue renfermait les bureaux ; on voyait, en effet, à travers les barres de fer et les carreaux étroits de ses hautes fenêtres, reluire les angles de cuivre des registres et leurs étiquettes rouges. Au-dessus de ce rez-de-chaussée régnait une galerie saillante avec un balustre de bois à fuseaux tournés ; des portes s’ouvraient sur cette galerie, qui était le chemin forcé de toutes les chambres du premier étage de la maison. Le toit descendait jusqu’au bord de ce corridor intérieur et l’enfermait sous son abri.

Quand Luizzi entra, il aperçut sur cette galerie une jeune femme. Malgré l’intensité du froid, elle était simplement