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« Monsieur,

« Je crains de ne pouvoir me rendre au rendez-vous que je vous ai donné pour demain au bal de l’Opéra ; si vous tenez à l’explication des derniers mots que je vous ai dits, je puis maintenant vous la donner ; veuillez m’attendre ce soir chez vous, j’y serai ce soir à dix heures.


Luizzi demeura confondu, et, dans l’étonnement où le plongea l’impudeur de cette femme, il passa silencieusement le billet à de Mareuilles, qui partit aussitôt d’un grand éclat de rire.

— Ceci passe toute croyance ! s’écria-t-il. Mais tenez, si vous voulez m’en croire, vous ne resterez pas chez vous, vous viendrez ce soir chez madame de Marignon. Je saurai bien lui apprendre tout doucement le sacrifice que vous lui faites : elle vous saura bon gré, et tout vous sera pardonné.

— Vous avez raison, dit Luizzi, quoiqu’il m’en coûte de ne pas apprendre à madame de Farkley que je ne suis point sa dupe, et quoique je regrette de ne pas lui donner la leçon qu’elle mérite.

— La meilleure et la plus cruelle, repartit de Mareuilles, c’est de lui répondre que vous l’attendez, et de ne pas l’attendre.

Luizzi crut devoir suivre la moitié de ce conseil, en se réservant, suivant ses idées du soir, de suivre ou de ne pas suivre l’autre moitié ; c’est-à-dire qu’il commença par répondre qu’il attendrait madame de Farkley chez lui. Le soir venu, Luizzi avait oublié son ressentiment. Il se rappelait cette femme de l’Opéra, si suave et si gracieuse ; il se faisait un reproche de sacrifier à de vaines considérations du monde quelques heures d’un plaisir qu’il supposait devoir être très-piquant. Luizzi était un de ces êtres destinés à avoir une vie très-agitée au milieu des aventures les plus ordinaires. Ces gens-là font de la moindre décision une matière à combats intérieurs. Ils balancent aussi longtemps à passer le ruisseau de la rue que César à franchir le Rubicon, et, parce qu’ils se sont fort intéressés à ce débat avec eux-mêmes, ils pensent avoir fait une chose très-intéressante. Ainsi le baron passa deux heures à plaider devant lui-même la cause de son plaisir contre la considération.

Quant à la réputation de madame de Farkley, il n’y pensa pas le moins du monde. Ajouter une aventure scandaleuse de plus à toutes les aventures scandaleuses de Laura ne lui sem-