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la chose eût été fort difficile à conclure. Mais il se trouva, dans une petite habitation isolée où Firion conduisit le manant en sortant de chez le médecin, une jolie servante, vive, accorte, qui fit les honneurs de la maison au nouveau venu, et qui lui laissa voir assez adroitement que la chambre où elle demeurait n’était pas loin de celle qu’on avait destinée au remplaçant.

— Quoi ! dit Luizzi, Nathalie joua un pareil rôle ! cette femme se dégrada au point d’exciter par des coquetteries l’amour d’un goujat ?

— Mon cher baron, reprit le Diable, vous avez la rage des sottes explications. Je vous préviens que c’est un énorme ridicule que celui de saisir au passage une phrase ou un récit pour les faire finir d’une façon toute contraire à la vérité. Il y a beaucoup de gens dans le monde qui ont cette funeste habitude. Je ne sais comment les autres s’en arrangent ; mais ils me font l’effet de ces goujats qui mettent les doigts dans votre plat et qui mordent dans votre pain ou dans votre pêche, et qui enlèvent ensuite le morceau entamé en disant : « Ah ! ce n’était pas à moi, reprenez votre bien, ce qui en reste est bon, vous pouvez l’achever. » Défie-toi de ce penchant, il peut être mortel. Il y a tel homme qui ne te pardonnera jamais de lui avoir ravi l’effet d’un bon mot. Du reste, s’il y a quelque chose de piquant ou plutôt d’inusité dans le fait de mademoiselle Firion, ce n’est pas d’avoir eu un amant le lendemain de la mort de son mari : l’histoire de la matrone d’Éphèse est contemporaine des livres saints, et l’humanité est faite de la même chair depuis qu’elle existe. Ce qui rend l’aventure de mademoiselle Firion assez exceptionnelle, c’est qu’elle ne connaît pas, c’est qu’elle n’a jamais vu, c’est qu’elle n’a jamais voulu ni voir ni connaître celui qui devait lui donner la plus sainte et la plus forte des affections, l’amour d’une mère pour son enfant.

— Hein ? fit Luizzi.

— Oui, mon cher, repartit le Diable. Quand la jeune servante eut suffisamment fait comprendre au paysan que les beaux garçons étaient faits pour les belles filles, Firion trouva moyen, quand la nuit fut venue, de le faire promener durant une heure loin de la maison. Pendant ce temps, une voiture en partit et une autre y arriva ; puis, quand le paysan revint, Firion veillait seul, la petite était rentrée chez elle. Puis Firion se retira en recommandant au grand gaillard d’aller dormir dans sa chambre. Ce ne fut point dans sa chambre qu’il alla : il ne se trompa point de porte, il retrouva