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en fait de bégueulisme, les femmes ne passent qu’après les hommes. Eh bien ! sur les trois ou quatre cents imbéciles qui ont été révoltés de ce qu’un père s’occupait de tout ce qu’était son futur gendre, il y en avait assurément cent cinquante qui ne se fussent pas tirés avec autant d’honneur que le beau goujat de Firion de la visite médicale qu’on lui fit subir.

— Tout cela, dit Luizzi, me paraît très-joli ; mais le dénoûment me semble difficile à amener, surtout avec mademoiselle Nathalie.

— C’est surtout avec mademoiselle Nathalie que le dénoûment était la chose du monde la plus facile. Il n’y a rien de tel que de bien s’entendre avec soi-même sur ce qu’on veut. Je t’ai déjà dit que les femmes ont le tort de ne pas être franches avec les hommes ; elles ont, de plus, le tort de ne pas être franches avec elles-mêmes. Elles poussent la prétention de la finesse jusqu’à vouloir se tromper, et il y en a qui, après avoir fait tous les préparatifs de leur chute, finissent par se persuader qu’elles ont été surprises.

— Je suis assez de ton avis, dit le baron, mais je ne comprends pas davantage comment, en pareille circonstance, une fille comme Nathalie pouvait faire les préparatifs de sa chute.

— Mon bon ami, dit le Diable d’un air de mépris, tu n’es pas même capable de faire un opéra-comique. Il y a mille moyens très-simples et mille moyens très-ingénieux d’arriver à un pareil but.

— Peut-être, dit Luizzi ; mais, si les obstacles ne venaient point de la pudeur de la femme, ils pouvaient naître de la retenue du paysan. Il s’agissait, ce me semble, de faire comprendre à ce malotru qu’il pouvait plaire à une femme dont le père l’achetait vingt-quatre mille francs, et pouvait consoler une veuve qui avait perdu son mari la veille. Crois-tu cela très-aisé ?

— La question posée dans ces termes, reprit le Diable, eût été une question difficile à résoudre, je le conçois. Les gens de bas étage ont pour les femmes d’un certain rang un mépris et un respect également bêtes ; ils croient volontiers qu’elles ont pour amants tous les hommes de leur monde qui ont le droit d’entrer chez elles, et, en conséquence, il n’est mauvais propos qu’ils ne tiennent sur leur compte. Mais, d’un autre côté, ils ne sauraient s’imaginer que les faiblesses de ces femmes puissent descendre jusqu’à des gens de leur espèce, et, sous ce rapport, il faut qu’elles se donnent ou plutôt qu’elles s’offrent de la manière la plus formelle, pour qu’ils osent comprendre qu’elles veulent leur appartenir. Sous ce point de vue donc,