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Nathalie devint toute pensive, pendant que Firion continuait d’un air dégagé :

« — Mais ceci tient à des considérations de fortune, de droits de succession, à des questions d’état qui seraient beaucoup trop longues à te bien expliquer.

« — Je vous crois, mon père, dit Nathalie, je vous crois ; de sorte que si je devenais mère d’ici à dix mois, mon enfant serait celui de M. du Bergh ?

« — Sans doute, dit le père redevenu fort embarrassé.

« — Légalement parlant ? veux-je dire, repartit Nathalie. »

Firion commençait à ne plus comprendre, ou plutôt il commençait à avoir peur de comprendre. Il chercha donc à détourner la conversation, et dit à Nathalie :

« — Demain nous partons, nous retournons à Paris ; là tu trouveras des hommes dignes de toi, de ta fortune, des hommes qui te mettront dans une position si élevée, que les bonheurs de la vanité remplaceront ceux de l’amour auxquels tu veux renoncer.

« — Mon père, je ne porterai pas d’autre nom que celui du seul homme que j’aie aimé.

« — Mais alors, dit Firion poussé dans ses derniers retranchements, que veux-tu dire, Nathalie ?

« — Mon père ! répondit l’intéressante veuve vierge en tombant aux genoux de son père avec des larmes et des sanglots, mon père, je vous l’ai dit, je veux être mère ! »

— Un inceste ! s’écria Luizzi.

— Mon cher, vous êtes stupide ! dit le Diable avec emportement, vous n’avez pas la moindre idée des ressources de la vie ; vous êtes de la littérature de notre époque d’une manière effrénée, vous faites tout de suite un drame abominable d’une chose qui me paraît très-divertissante. Il n’y a pas le moindre inceste dans tout ceci.

— Eh bien ! voyons, dit Luizzi avec impatience, dis-moi le reste de cette conversation.

— Le reste de cette conversation, repartit Satan, dura juste les deux minutes que tu viens de me faire perdre par ta sotte interruption, et, comme tu sais qu’entre nous les instants sont précieux, je ne te raconterai pas la fin de cette conversation, je t’en dirai le résultat.

— Je t’écoute, repartit le baron, qui cette fois se promit bien de ne pas interrompre, quelque extravagance qu’il plût au Diable de lui raconter. Et le Diable reprit :

— Le lendemain de ce jour, le père Firion s’en allait dans les environs de B…, marchant à travers champs, abordant les paysans qu’il rencontrait et causant amicalement avec eux. Le premier était un homme de quarante-cinq ans, laid