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mais qui n’existent pas.

— Vous avez raison, mon père, reprit Nathalie en redonnant à ses paroles et à son visage toute la sentimentalité possible, oh ! vous avez raison ; je sais maintenant que l’amour est un rêve impossible ; je sais que c’est une passion égoïste, cruelle, et dont les infâmes calculs du monde ont altéré la divine essence. Aussi je vous le jure, mon père, j’ai fermé mon cœur à ce vain sentiment. Non, je ne veux plus aimer ni espérer d’être aimée ; mais il est une affection, plus grande, plus sainte, plus profonde que l’amour, à laquelle je veux vouer ma vie. Mon père, mon père ! ajouta-t-elle avec des larmes, votre tendresse pour moi m’a éclairée sur la plus puissante des affections : mon père, je veux être mère. »

Cette déclaration fit bondir Firion sur sa chaise, plutôt pour ce qu’elle avait d’extravagant dans la manière dont elle était dite que dans le désir lui-même. Il se remit un peu de son trouble, puis répondit à sa fille :

« — Eh bien ! mon enfant, quand le temps de ton deuil sera écoulé, ou, si tu le veux absolument, après les dix mois que la loi impose aux veuves avant de leur permettre de se remarier, je te donnerai un nouvel époux : et d’ici là je te chercherai un parti convenable. »

À cette réponse, Nathalie considéra son père d’un air à la fois plein de curiosité et de réflexion, et, du ton d’un client qui demande à son avocat le sens d’un texte de loi qu’il s’imagine avoir découvert le moyen d’éluder, elle dit à Firion :

« — Mais pourquoi, mon père, impose-t-on ce délai aux femmes avant de leur permettre de se remarier ? »

Firion parut fort embarrassé de la question. Mais il était de ces hommes qui pensent qu’une femme peut et doit savoir la vie et les obligations que lui impose la loi écrite. Ainsi, après avoir entendu sa fille répondre si nettement à la question qu’il lui avait faite, il crut pouvoir répondre aussi clairement que possible à la question qu’elle venait de lui poser :

« — Dans les dix mois qui suivent la mort d’un mari il peut naître un enfant, quoique ordinairement la grossesse d’une femme ne dure pas plus de neuf mois ; cet enfant appartenant au mari décédé, la prévoyance de la loi n’a pas voulu que la femme contractât de nouveaux liens avant qu’elle fût bien sûre de sa position vis-à-vis de la famille qu’elle quitte et de la famille dans laquelle elle va entrer. »