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terré, sans qu’on se soit occupé autrement de la manière dont il était mort. Firion lui-même n’en eut pas le moindre soupçon et crut au désespoir très-réel de sa fille ; cependant quelque chose l’intriguait, sur quoi il eût bien voulu être éclairé, c’était de savoir si du Bergh était mort seulement de son médecin, ou bien si une première nuit de noces, si imprudemment offerte à un moribond, n’avait pas contribué à l’achever. Firion eut bientôt l’explication la plus formelle de son doute.

Le lendemain de la mort de du Bergh, il pénétra dans la chambre de sa fille ; celle-ci en avait fait fermer les rideaux, ne voulant point laisser pénétrer jusqu’à elle une lumière qui lui était devenue insupportable depuis qu’elle avait perdu le seul être qu’elle pût aimer. Ce fut avec de pareilles phrases qu’elle reçut monsieur son père, et le père les écoutait d’un air de contrition convaincue et y répondait de même, quand Nathalie laissa tomber, au milieu de ses sanglots, cette phrase au moins extraordinaire pour une jeune fille :

« — Si du moins il m’avait laissé un gage de sa tendresse ! Si, après lui, je pouvais aimer dans ce monde un être qui me le rappelât !… »

Le père Firion crut avoir enveloppé de toutes les précautions oratoires possibles la question qu’il voulait faire à sa fille lorsqu’il lui dit doucement :

« — Pauvre enfant ! n’as-tu donc pas quelque espérance de voir réaliser ce bonheur ? »

Nathalie ne put s’empêcher de regarder son père en face et de lui répondre d’une voix dans laquelle il n’y avait plus ni sanglots, ni larmes, ni lamentations :

« — Non, mon père, non, je n’ai point cette espérance ; mais j’en ai une autre que vous comprendrez mieux que personne, parce que mieux que personne vous savez ce que c’est qu’aimer son enfant. »

Firion était toujours sur ses gardes, car il ne savait jamais jusqu’où pouvaient aller les caprices de la charmante Nathalie. Le ton qu’elle venait de prendre lui causa un véritable effroi ; cependant il cacha ses sentiments et lui répondit le plus paternellement qu’il put :

« — Je suis heureux de savoir qu’il te reste encore une espérance, et je suis persuadé que celle-ci est digne de toi, qu’elle est raisonnable et qu’elle ne repose pas sur des utopies de sentiment, qui seraient le bonheur si elles existaient,