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avec laquelle on déshonore presque toutes les femmes. Tout se sait, tout se sait exactement dans de pareilles aventures, Monsieur ; mais, lorsqu’on ne peut pas douter d’une intrigue et qu’on voit un homme la nier, les femmes lui en savent gré, et elles ont grand tort ; en effet, le lendemain, si cet homme se trouve par hasard dans leurs relations habituelles, il est assez probable qu’on lui supposera une nouvelle intrigue, et, comme ces femmes n’ont pas cru pour une autre les protestations de cette vertu que vous appelez discrétion, on ne croira pas davantage pour elles les mêmes protestations discrètes.

— Mais à ce compte, Madame, reprit Luizzi, il faudrait donc à la première question répondre la vérité ? Puis, considérant madame de Farkley d’un air impertinent, il ajouta : Il y a des femmes pour qui cette théorie devrait être bien dangereuse.

— Qui sait, Monsieur, répondit madame de Farkley sans paraître émue, qui sait quelles sont les femmes qui auraient à redouter cette exacte vérité ? Un amant, Monsieur, c’est comme le chiffre 1 posé dans la vie d’une femme ; s’il arrive après lui un fat qui se vante de ce qu’il n’a pas obtenu, le monde pose ce zéro après le chiffre fatal, et le monde lit 10, répète 10. Soyez sûr, Monsieur, que, dans l’existence d’une femme et en bonne arithmétique galante, un amant et un fat équivalent à dix amants.

Luizzi trouva que madame de Farkley plaidait sa propre cause d’une manière assez directe. Comme il crut pouvoir lui répondre sans trop de détour, il reprit :

— Et sans doute, Madame, vous poussez ce système numérique dans toutes ses conséquences, et vous supposez qu’un second fat équivalant à un second 0, la renommée d’une femme va de 10 à 100, à 1,000 amants, ainsi de suite, selon le nombre des fats ?

— En vérité ! Monsieur, reprit madame de Farkley, j’en connais qui n’auraient pas eu un jour à donner à ceux qu’on leur prête, si l’on en faisait une liste exacte ; mais il y a encore des femmes plus malheureuses que celles dont je viens de vous parler.

— Cela me paraît difficile, dit Luizzi.

— J’espère vous le prouver. Il y a telle femme à qui l’on prête tous les amants du monde et qui n’en a pas eu un seul.

— Pas un seul ! dit Luizzi en finassant sur le mot et en regardant Laura d’un air plein de raillerie.

— Pas un seul ! monsieur le baron, répondit-elle, pas même vous.

Luizzi demeura assez embarrassé de cette apostrophe, et répondit assez gauchement :