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Farkley, semble dire à un homme comme Luizzi : « Vous ne savez pas tout ce que vous valez, et vous perdrez mille chances de réussir parce que vous êtes trop modeste. » Le baron crut devoir le prendre ainsi ; cependant il répondit :

— Je ne comprends pas plus que je sois un enfant que je ne comprenais pourquoi j’étais ridicule.

— Ni ridicule ni enfant, si vous le voulez : je vous demande pardon de l’expression. Vous n’êtes pas vrai, ou plutôt, vous n’êtes pas naturel.

— Il y a une chose que je suis assurément ; c’est bien gauche, car je ne comprends pas davantage.

— Eh bien ! reprit madame de Farkley en continuant ce manége de coquetterie physique pour ainsi dire, qui consiste dans une attitude de corps, dans des inflexions de voix, dans une main ravissante habilement dégantée pour relever une barbe de masque qui découvre des lèvres pleines de volupté jouant sur des dents virginales, dans ces mille petites ruses qui détaillent une femme, beauté à beauté, aux yeux d’un homme qui l’examine ; eh bien ! reprit-elle, je vais m’expliquer tout à fait. Vous avez de l’honneur dans le cœur, monsieur le baron, et personnellement j’aurais à vous remercier de l’intention d’une bonne façon à mon égard, si vous ne vous étiez trompé comme tout le monde sur ce qui est arrivé ce soir : c’est pour cela que j’oserai vous donner, à vous qui êtes encore un assez jeune homme, un conseil que vous ferez bien de suivre. Vous ne savez ni avouer ni nier une femme, et cependant c’est en cela que consiste tout l’art de savoir vivre avec nous. Je vous prends pour exemple. Je viens de vous parler de deux femmes. Je suppose, car je ne sais rien de ce qui est, je suppose que l’une des deux seulement vous ait appartenu ; eh bien ! vous m’avez répondu sur l’une et sur l’autre avec la même phrase insignifiante et banale. Si cette phrase a un sens, si elle est vraie, vous faites injure à l’une d’elles en protégeant du même mot celle qui a fait une faute et celle qui n’en a pas fait ; si cette phrase est, comme je le disais, insignifiante et banale, vous faites encore injure à celle qui n’a pas été coupable en ne la défendant pas mieux que celle qui l’a été.

— Mais si aucune ne l’a été, Madame, que pouvais-je répondre ?

— Oh ! reprit Laura vivement, ne changeons pas la question : j’ai supposé qu’il y en avait une de coupable ; en ce cas, croyez-vous m’avoir bien répondu ?

— Oui, Madame, car la discrétion est une vertu du monde tout au moins.

— Et c’est cette vertu