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tin, un joueur, un faussaire !

« — Un faussaire ! s’écria Nathalie.

« — Pour une bagatelle de 2,000 guinées ; et votre père tiendra trop à l’honneur de son gendre pour ne pas étouffer cette affaire. Nous avons le temps ; la lettre de change ne se présentera chez E… que dans un mois, et le papa Firion fera taire toutes les réclamations en la payant…

« — Un faussaire ! répéta Nathalie, dont la pensée avait peine à rester droite sous le choc des étranges paroles qu’elle entendait.

« — Je ne pense pas que votre père fût précisément instruit de cette circonstance ; mais, en tout cas, il en savait assez sur mon compte pour ne pas vouloir vous donner à moi s’il n’avait espéré que ma mort le débarrasserait bientôt de son gendre.

« — Mon père avait prévu votre mort ? dit Nathalie toujours immobile.

« — Il avait mieux fait le vieux rusé ! il y avait aidé.

« — Mon père a voulu vous assassiner ?

« — Non, non, je ne dis pas cela. Il est trop du monde pour commettre de ces vilenies, mais il m’avait choisi un médecin qui devait s’en charger. J’ai encore chez moi l’assortiment complet que le drôle a voulu me faire prendre. Je crois même que le pharmacien m’a fait remettre son mémoire. J’espère que M. Firion a trop d’honneur pour refuser de l’acquitter.

« — Ainsi, dit Nathalie, cette maladie, cette faiblesse, ce dépérissement…

« — Bien joué ! n’est-ce pas ? ma Nathalie ?

« — Ainsi vous saviez qui j’étais ?

« — À peu près, mon ange.

« — Que j’étais riche ?

« — Immensément riche, mon idole !

« — Et vous avez osé ?…

« — Hein ! fit du Bergh, madame ma femme ? »

Nathalie se détourna et cacha sa tête dans ses mains. Du Bergh les écarta violemment et la regarda. Elle pleurait.

« — Vous pleurez parce que je ressuscite ? Vous auriez donc ri si j’étais mort ? »

Nathalie laissa échapper des sanglots étouffés.

« — Ah çà ! reprit du Bergh brutalement, expliquons-nous un peu. Est-ce ainsi que vous entendez aimer les gens pour eux-mêmes ? Vous qui demandez cet amour à cor et à cri, ne m’aimez-vous qu’en qualité de cadavre ? Grâce au ciel ! je ne le suis pas, madame la baronne du Bergh. Allons, réjouissez-vous : j’ai encore assez de force pour manger toute la fortune de monsieur votre père, s’il veut me la donner. Oh ! le digne scélérat ! quelle figure il va faire demain au matin, quand, au lieu de me trouver râlant et prêt à rendre l’âme, il me verra amoureusement couché dans les bras de sa fille ! C’est une surprise que je veux lui donner. »