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prononcer sans qu’il résonne saintement à mon oreille. Toutes les fois que je m’en entendrai appeler, il me dira le cœur que j’ai perdu et le bonheur que j’aurais pu espérer. » Il n’en fallait point tant à Nathalie pour se fabriquer une volonté contre laquelle toutes les remontrances de son père ne purent rien. « S’il meurt sans que je l’épouse, je me tue sur sa tombe… Je veux son nom… Je le veux… Que ce soit le gage d’un amour digne de moi ! » Nathalie s’était tellement exaltée dans cette idée, qu’elle s’était procuré du poison pour la mettre à exécution. Firion se consulta d’abord, il consulta ensuite un médecin assez renommé et assez habile, un autre que celui auquel il avait confié du Bergh. Celui-ci, qui avait appris chez le pharmacien du lieu les ordonnances de son confrère, n’hésita pas à dire à Firion que du Bergh était un homme mort. Firion sortit la joie dans le cœur et les larmes dans les yeux, niaise perfidie dont il eût pu se dispenser ; et il courut annoncer à Nathalie qu’il consentait à tout.

— Pardieu ! s’était-il dit, une femme veuve deux jours après son mariage, une veuve vierge, ce sera assez extraordinaire pour donner à Nathalie cet attrait supérieur qui lui manque.

Le jour du mariage fut donc fixé, et du Bergh, qui avait été informé du vrai nom de Firion, mais qui était censé ignorer sa fortune, fut transporté à la chapelle dans une chaise à porteurs. Il en sortit mourant pour s’asseoir sur le fauteuil nuptial et reçut la bénédiction du prêtre au moment même où on le croyait près d’expirer. Il eut cependant assez de force pour être ramené chez Firion, et déposé sur cette couche d’hyménée (style de l’époque) qui devait être une couche de mort. Aux yeux de Nathalie, tout cela ne manquait pas d’une certaine poésie à laquelle elle se laissait aller d’assez bonne foi pour que son père crût devoir l’enlever de la chambre où du Bergh allait bientôt expirer. Il craignait sur l’esprit de sa fille l’effet de cette mort, quoiqu’elle fût certaine et prévue. Mais, dès que Nathalie s’aperçut de l’intention dans laquelle on venait de la faire sortir, elle se mit à pousser de tels cris qu’on jugea moins dangereux de la laisser retourner près de son mari malade. Dès que Nathalie fut libre, elle marcha gravement vers cette chambre fatale, où elle déclara vouloir entrer et veiller seule. La nuit était venue. C’était une belle scène que celle qui allait se passer ! Comprends-tu cette jeune fille en présence de ce premier et saint amour prêt à remonter vers le ciel ? La vois-tu à genoux à côté de ce moribond qui l’adore