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teur ne fut pas trompée. À peine l’avait-il quitté que le discret médecin s’empressa de se rendre chez du Bergh et de lui raconter ce qu’il venait d’apprendre de ce prétendu M. Bernard.

… À ce moment, le Diable s’arrêta, et, considérant Luizzi avec attention, il sembla tout à coup abandonner son récit ; puis il reprit :

— Vous êtes un homme sensé, mon cher Luizzi ; mais, ainsi que tous les hommes sensés, vous n’admettez comme chose possible que ce qui s’explique. Le grand secret des intuitions vous est inconnu ; vous rejetez dans les rêves de la littérature fantastique les merveilleuses découvertes faites par un sens qui vous manque et qui ne peut s’appeler que l’instinct. Ainsi vous comprendrez difficilement la manière dont du Bergh reçut cette nouvelle.

— Elle devait tout au moins lui sembler invraisemblable, dit Luizzi. Un millionnaire de plusieurs millions qui se cache, cela mérite explication, et du Bergh nia sans doute…

— Pas le moins du monde, fit le Diable en interrompant Luizzi.

— Il dut s’étonner cependant qu’un homme riche et puissant comme Firion consentît à lui donner sa fille.

— Ceci n’est pas mal observé. Et puis ?

— Et puis il supposa sans doute que la tendresse paternelle l’aveuglait assez pour la sacrifier, et…

— Mauvais ! repartit le Diable, très-mauvais !

— Après tout, repartit Luizzi, je t’ai appelé pour me raconter une histoire et non pour me proposer une énigme. Qu’est-ce que fit du Bergh ?

— Il devina tout de suite (je t’ai dit que l’instinct du vice était merveilleux en lui), il devina tout de suite que Firion ne cherchait à le faire guérir par le docteur en question que pour se défaire de lui plus sûrement.

— Quelle horreur ! s’écria Luizzi.

— Du Bergh trouva la chose très-spirituelle, repartit le Diable, et il dressa ses batteries en conséquence. Il revint auprès de Nathalie, et, averti du rôle qu’il devait jouer, il finit par lui persuader aussi complétement que possible qu’il l’aimait pour elle-même. Nathalie, d’autant plus heureuse de ce triomphe qu’elle avait craint un moment de le perdre, voulut absolument récompenser cet amour si désintéressé, si puissant, si vrai : elle déclara donc à son père que M. du Bergh était le seul homme qu’elle consentît à épouser. Contre toute espèce de raison, Firion ne refusa point ; seulement il remit à deux mois la célébration de ce mariage. Il avait calculé que du Bergh, grâce aux soins du médecin qu’il lui avait choisi, ne