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XVII

PREMIER FAUTEUIL.


Et le Diable commença en ces termes :

— Madame du Bergh s’appelait, il y a vingt-cinq ans, mademoiselle Nathalie Firion. Elle était la fille de monsieur Firion, fournisseur, riche d’une fortune princière, élégant, d’un parler distingué, et qui possédait au suprême degré l’art de faire accepter son argent. C’est l’homme que j’ai vu acheter le plus de femmes en leur laissant la liberté de croire qu’elles ne s’étaient pas vendues. Des magistrats, des généraux d’armée, des administrateurs, ont reçu de lui des millions qu’ils croyaient légitimement gagnés, et lui ont, en retour, rendu des services qu’ils disaient gratuits parce que le mode de payement n’avait pas été direct. C’est qu’il ne faut pas vous imaginer, mon cher Luizzi, que la corruption par l’argent soit une chose facile. On achète un laquais, un espion de police, une fille entretenue pour une somme dont on convient et qu’on accepte de quelque manière qu’elle soit offerte ; mais un député, un écrivain, une femme du monde, il y faut des façons infinies, cela demande du tact, de l’adresse, et surtout une grande volonté. Si jamais vous allez dans le monde des princesses impériales, je vous raconterai l’histoire d’une tête couronnée qui s’est vendue à un marchand de modes. C’est ce que je connais de mieux en ce genre.

— Plus tard, dit Luizzi, mais à cette heure je désire surtout savoir l’histoire de madame du Bergh.

— Pour arriver plus vite à madame de Farkley ? soit. Comme je vous le disais, M. Firion était l’homme de France qui savait le mieux faire accepter ses marchés ; et de tous ceux qui prétendent qu’on a tout ce qu’on veut avec de l’argent, il était peut-être le seul qui eût le droit de le dire sans fatuité. Il en était résulté pour lui une étrange facilité à promettre et à donner ce qu’on lui demandait. Quelque chose que désirât sa fille unique Nathalie, elle n’éprouvait jamais de refus. À toutes ses demandes, M. Firion répondait : Je te l’achèterai, que ce fût une parure, une