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gnit de sortir en même temps que lui, le laissa passer le premier, et entendit le valet de pied crier au cocher : À l’Opéra ! Il rentra aussitôt et vint raconter l’aventure à quatre ou cinq intimes. On en rit assez haut pour que chacun s’informât de cette gaieté presque inconvenante.

D’abord on répondit :

— Ce n’est rien, une plaisanterie ! Ce pauvre Luizzi ! il avait l’air d’un triomphateur… Un bon garçon au fond, mais qui ne mérite guère mieux.

— Mais qu’est-ce donc ? dit madame de Marignon.

— Cela ne vaut pas la peine d’être répété.

— Vous parliez de M. de Luizzi ?

— De lui comme d’un autre.

— Est-ce qu’il est parti ?

Un monsieur fit un signe de tête affirmatif, accompagné d’un sourire si fin que tous les autres en rirent aux éclats.

— Mais qu’est-ce donc ? reprit madame de Marignon.

— Il est au bal de l’Opéra, répondit le monsieur en appuyant sur chaque syllabe, pour leur donner un sens très-positif…

— Quelle horreur ! s’écria madame de Marignon avec mépris, c’est scandaleux !

— Et surtout de mauvais goût, ajouta Cosmes de Mareuilles.

— Oui, reprit madame de Marignon ; je sais que vous y avez mis plus de mystère.

— Ah ! vous me calomniez, dit le fat en se dandinant.

— Je vous calomnie ! Vous niez donc ?

— Eh ! non, reprit un autre ; si vous le calomniez, c’est en l’accusant de mystère, il ne s’en est jamais caché.

— Ah ! Messieurs, Messieurs ! reprit madame de Marignon de ce ton en partie composé de l’indignation extérieure et de la joie interne que procure à une prude une méchanceté bien articulée.

Puis elle s’éloigna et alla retrouver ses deux amies. Bientôt s’établit entre elles et quelques personnes qui vinrent se joindre à ce groupe un entretien où les étonnements affectaient les exclamations les plus cruelles, à mesure que madame de Marignon racontait les paroles imprudentes de madame de Farkley et le départ de M. de Luizzi. Les plus sévères arrivèrent, contre la malheureuse qu’on avait chassée, à des mots qui ne se trouvent guère qu’au coin des rues. Si Luizzi avait pu entendre cette conversation, il aurait appris un grand secret, c’est celui de la pruderie des termes dans un certain monde. Ainsi, telle femme qui refusera d’entendre raconter l’histoire la moins égrillarde voilée de mots élégants, acceptera et même dira au besoin les paroles les plus grossières, s’il s’agit d’insulter une autre femme et de stigmatiser le vice.