Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

alors par les hommes, il alla saluer quelques femmes, et se rapprochant insensiblement de madame de Farkley, il s’assit à côté d’elle. Celle-ci ne put s’empêcher de regarder l’homme qui prenait cette place abandonnée. Ce regard de feu, rapide et profond, pénétra Luizzi d’une sorte d’effroi ; il lui sembla que ce n’était pas la première fois qu’il subissait le charme de ce regard, il eut même l’idée qu’il avait connu dans toute sa jeunesse et sa pureté ce visage pâle et fatigué. Toutefois, n’ayant rien trouvé dans ses souvenirs à quoi rattacher cette émotion, il se décida à entamer la conversation. La musique qu’on venait d’entendre était un texte assez naturel. Luizzi commençait une phrase assez insignifiante, lorsque madame de Marignon reparut tout à coup dans le salon. En voyant Luizzi à côté de madame de Farkley, la maîtresse de la maison parut éprouver contre lui un sentiment de vif mécontentement. Toutefois elle s’approcha de madame de Farkley et lui dit d’un ton parfaitement dégagé :

— Je viens vous chercher, ma chère madame de Farkley, pour vous demander votre avis sur un cachemire que je veux donner à ma nièce. Outre que vous avez un goût exquis, je sais que vous vous y connaissez à merveille.

— Je suis à vos ordres.

— J’abuse de votre obligeance.

— Point du tout.

— Et, à propos, comment se porte M. d’Andeli ?

— Toujours bien, comme un homme heureux.

— Il ne vieillit pas ?

— Si peu, qu’il m’attend cette nuit au bal de l’Opéra.

— Voilà ce qu’on appelle un bon père.

— Oui, vraiment, excellent…

Ce petit dialogue avait lieu pendant que madame de Farkley prenait, sur son fauteuil, une écharpe, un éventail, un bouquet, tout l’élégant attirail d’une femme en habit de bal. Elle quitta le salon avec madame de Marignon. Aussitôt madame de Fantan et madame du Bergh reparurent, puis, un moment après, madame de Marignon rentra seule. On ne chasse pas une femme d’un salon plus manifestement qu’on venait de le faire de madame de Farkley. Luizzi était resté à sa place, il se leva quand les deux prudes rentrèrent. Mais on le remercia si sèchement de sa politesse, qu’il devina la haute inconvenance qu’il venait de commettre. Madame de Marignon lui dit beaucoup plus explicitement ce que les regards courroucés des autres lui faisaient supposer. Comme elle passait près de Luizzi, elle se détourna d’un air d’étonnement dédaigneux, et lui dit :