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bille d’hypocrisie et de faux semblants de vertu. Il est à remarquer que Luizzi n’avait pas encore songé au vrai but de son marché avec le Diable, et que sa destinée exceptionnelle ne l’avait pas affranchi de la loi commune de l’humanité, qui est de subir la vie avant de la juger, et de marcher avant d’avoir choisi une route. L’aventure qui devait remettre Luizzi en entrevues réglées avec son mentor ne se fit pas attendre.



LES TROIS FAUTEUILS.


XVI


Deux jours après son arrivée, Luizzi aborda un monde assez peu connu dans Paris, ce fut celui de la finance retirée. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas ici de la finance de la restauration, de la finance libérale, qui luttait d’argent avec les grandes fortunes nobiliaires, qui tapissait de soie et d’or ses appartements comblés de commis d’agents de change, au jour des grandes réceptions ; qui, voulant se créer des galeries historiques, se faisait peindre dans une partie de chasse et admettait le visage de son cocher et celui de son piqueur parmi les portraits de famille ; dont tous les diamants, gauchement étagés sur des femmes riches et criardes, n’ont jamais pu atteindre à la séduction d’un grand air de tête aristocratiquement porté ou d’un bout de ruban amoureusement lacé dans les cheveux d’une belle fille de l’Opéra. La finance dont il est question ici datait de plus loin que la restauration, elle avait commencé avec le directoire et s’était mêlée à ce pillage ravissant des fonds de l’État et des plaisirs de la vie. En effet, la France, arrivée au directoire après la république et la terreur, ressemblait volontiers à une armée qui, après avoir traversé un pays hérissé de précipices, d’ennemis, de coupe-gorges, d’embuscades où elle a laissé le meilleur de son avant-garde, atteint enfin une ville amie où il y a quelques heures abondance et sécurité. Alors, ma foi ! c’est un charme de se revoir, de se fêter, de boire, de manger, de rire, de s’embrasser, de danser, bras dessus bras