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Mariette s’arrêta, et Luizzi posa sa main sur ses yeux comme s’il eût été pris d’un éblouissement. Puis il marcha silencieusement près de Mariette qui se taisait. Ce silence fut long : on eût dit que le baron avait besoin de tout ce temps pour mesurer l’infamie de cette action. Enfin il reprit :

— Oh ! oui, c’est abominable !

— Mais, ajouta Mariette en baissant la voix et en se rapprochant de Luizzi, une chose que vous ne pourriez concevoir, si elle n’était vraie et si je ne vous l’attestais sur la vie, c’est que cette femme noble, élégante, jeune, entourée du monde le plus brillant, chercha dans le pouvoir qui l’avait livrée à l’abbé de Sérac l’oubli de la faute qu’il lui avait fait commettre. Elle fit un vice de ce qui avait été un malheur. Dès qu’elle était seule, elle se procurait des liqueurs fortes, elle les volait dans sa maison malgré ma surveillance, et elle en abusait jusqu’à ce qu’elle tombât sans force et sans raison ; car pour elle la force c’était le pouvoir de souffrir, la raison c’étaient le remords et ses déchirements. Elle a vécu deux ans ainsi, protégée par moi, qui la cachais aux yeux du monde et de sa maison, qui aurais voulu la cacher à vos yeux, monsieur le baron. Un jour, elle me dit dans un de ces mouvements de folie que ce vice faisait souvent naître en elle : « Oui, je me débarrasserai de ce bourreau qui me tue, et, puisque je n’ai ni un frère ni un mari qui puisse m’arracher à lui, je prendrai un autre amant. Ce matin Luizzi est venu me voir, Luizzi qui semblait m’aimer quand il était encore enfant et qui eut aussi sa part de douleur dans ma misère quand je me mariai ; Luizzi est venu me voir ; s’il veut m’aimer je l’aimerai ; je suis encore assez belle pour qu’il m’aime, n’est-ce pas ? Oh ! oui, reprit-elle en levant les yeux au ciel et en invoquant Dieu, tant sa folie l’égarait dans ces horribles moments ! oui, je l’aimerai, et vous me pardonnerez cet amour, mon Dieu, vous le prendrez en pitié ; car, s’il ne veut pas m’aimer, je braverai tout à fait votre éternelle damnation, je me tuerai. » Et c’est parce qu’elle l’eût fait, Monsieur, que j’ai été vous attendre à la porte de son hôtel, que je vous ai introduit auprès d’elle, en vous faisant échapper à la surveillance de l’abbé de Sérac que j’avais vu debout en face de la porte où vous alliez vous présenter ; c’est parce qu’elle se fût tuée que je vous ai laissé pénétrer dans cet oratoire dont un prêtre avait fait un boudoir. D’ailleurs je l’avais laissée plus calme. J’espérai un moment qu’elle oserait tout vous dire, et que vous seriez