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elle n’avait pas d’enfant, car dès le premier jour de son mariage elle s’était séparée de son mari, et jamais il n’a franchi le seuil de la chambre où elle dormait… quand elle dormait. Oui, monsieur le baron, j’ai appris bien des choses, et celle qui m’a le plus étonnée, c’est de découvrir combien l’esprit et les manières peuvent garder de grâce et d’élégance quand l’âme et le corps sont jusqu’au fond gangrenés de vices. J’ai lu quelquefois les lettres que l’abbé de Sérac me forçait de porter à madame du Val, et jamais, je l’avoue, je n’ai vu amour plus pur et plus respectueux s’exprimer avec plus de douceur et de charme. Je remettais avec désespoir ces lettres à la marquise. Après avoir longtemps refusé de les recevoir, l’infortunée avait fini par se laisser persuader par moi, qui lui mentais parce que j’avais peur, et qui regrettais le succès de mes paroles à l’instant même où je venais de tout tenter pour réussir. Il se passa trois mois avant que la marquise voulût lire une des lettres de l’abbé ; il se passa trois mois encore, quand elle eut consenti à les lire, avant que de permettre à l’abbé de se présenter dans sa maison. Je la poussais malgré moi vers un crime que mon affection pour elle redoutait bien plus que la morale dans laquelle j’avais été élevée : je n’étais pas épouvantée, moi, que la marquise prît un amant ; je ne pensais pas à un sacrilége en croyant qu’elle pouvait se donner à un prêtre ; je pensais qu’elle allait être la proie d’un misérable qui avait tous les vices et toute la brutalité de ces vices. Une espérance me soutint cependant : j’espérais en la marquise elle-même. Il me semblait que le jour où cet homme voudrait lui parler un langage qu’elle ne voudrait pas entendre, elle saurait bien le faire taire. Puis je connaissais si bien la marquise, que je ne pouvais imaginer par quels moyens cet homme surprendrait la vertu d’une femme si pure et si forte à la fois. Hélas ! monsieur le baron, j’avais oublié que je lui avais donné moi-même une leçon bien hideuse…

— Quoi ! s’écria Luizzi, ce fut… ?

— Oui, Monsieur, reprit Mariette, ce fut en mêlant des substances pernicieuses dans le peu de vin qu’elle buvait, ce fut en l’enivrant, elle, cette sainte et noble créature, ce fut en l’abrutissant, comme moi j’avais enivré et abruti de Sérac, qu’il triompha de sa vertu de femme comme j’avais triomphé de sa vertu de prêtre. Il la prit vierge à son mari, comme je le pris vierge à son Dieu. C’est abominable, n’est-ce pas, monsieur le baron ?