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XIV

SUITE.


Luizzi avait écouté avec un vif intérêt cette lamentable histoire. La diligence venait de s’arrêter au pied d’une montée très-longue et très-roide. Tous les voyageurs étaient descendus, et Armand cheminait à côté du notaire en se laissant aller aux sombres réflexions que ce récit lui avait inspirées, quand Ganguernet, qui voulait prendre les devants pour aller boire quelques petits verres de rhum dans un bouchon qu’on apercevait en haut de la montée, lui dit en passant :

— Il paraît que l’histoire du notaire vous a touché au cœur, monsieur le baron ?

— En effet, reprit Faynal, elle paraît vous préoccuper beaucoup.

— C’est qu’elle a commencé à me dévoiler le secret d’un malheur et d’un égarement que je ne pouvais comprendre.

— Et que je puis vous expliquer tout à fait, dit la femme silencieuse et voilée de la diligence.

— Vous ?

— Moi. Me reconnaissez-vous, monsieur le baron ?

Et cette femme leva son voile. Luizzi se rappela l’avoir vue, mais il n’eût pu dire en quel temps ni en quel lieu, lorsque cette femme ajouta à voix basse :

— Je suis la servante qui vous ai introduit la nuit chez la marquise du Val.

— Mariette ! s’écria Luizzi.

— Oui, Mariette, répondit-elle ; c’est mon nom, je l’ai porté comme servante de la marquise, et je le portais aussi quand je fis évader l’abbé de Sérac de ma chambre.

— Quoi ! c’était vous ? reprit Luizzi, qui allait de surprise en surprise.

— Oui, c’était moi, qui, devenue folle d’amour pour ce prêtre, ne trouvai d’autres moyens de me l’attacher et de le ramener chez moi que de l’épouvanter de sa faute ; puis, lorsque j’eus vaincu sa conscience, de lui faire peu à peu une habitude de la débauche, jusqu’au jour où, devenu plus débauché que moi, il me força à prix d’or et avec des menaces atroces de servir ses infâmes projets.

— Contre qui ? dit Luizzi.

— Écoutez ! reprit Mariette. Depuis sept ans que mademoiselle de Crancé était mariée, depuis sept ans qu’il était prêtre, il l’avait toujours