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siècle, et que, dans le nôtre, on appelle fashionables. Tendu comme un arc entre ses bretelles et les sous-pieds de son pantalon blanc, il avait posé ses pieds en bottes vernies et éperonnées sur le chambranle de la cheminée, et se tenait assis sur le dos dans le fauteuil d’Armand. Du reste, ganté avec exactitude, la manchette retroussée sur le revers de son frac à boutons brillants, le lorgnon dans l’œil et la canne à pomme d’or à la main, il avait tout à fait l’air d’un camarade de visite chez le baron Armand de Luizzi.

Cette illusion alla si loin, qu’Armand le regarda comme une personne de connaissance.

— Il me semble vous avoir rencontré quelque part ?

— Jamais ! je n’y vais pas.

— Je vous ai vu au bois à cheval ?

— Jamais ! je fais courir.

— Alors c’était en calèche ?

— Jamais ! je conduis.

— Ah ! pardieu ! j’en suis sûr, j’ai joué avec vous chez madame…

— Jamais ! je parie.

— Vous valsiez toujours avec elle.

— Jamais ! je galope.

— Vous ne lui faisiez pas la cour ?

— Jamais ! j’y vais, je ne la fais pas.

Luizzi se sentit pris de l’envie de donner à ce monsieur des coups de cravache pour lui ôter de sa sottise. Cependant, la réflexion venant à son aide, il commença à comprendre que s’il se laissait aller à discuter avec le Diable, en vertu de toutes les formes qu’il plairait à celui-ci de se donner, il n’arriverait jamais au but de cet entretien. Il prit donc la résolution d’en finir avec celui-ci aussi bien qu’avec un autre, et il s’écria en faisant encore tinter sa clochette :

— Satan, écoute-moi et obéis.

Ce mot était à peine prononcé, que l’être surnaturel qu’Armand avait appelé se montra dans sa sinistre splendeur.

C’était bien l’ange déchu que la poésie a rêvé : type de beauté flétri par la douleur, altéré par la haine, dégradé par la débauche, il gardait encore, tant que son visage restait immobile, une trace endormie de son origine céleste ; mais, dès qu’il parlait, l’action de ses traits dénotait une existence où avaient passé toutes les mauvaises passions. Cependant, de toutes les expressions repoussantes qui se montraient sur