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parce qu’il y a des choses qu’il faut voir, c’est la figure de ce pauvre homme entre ma bouteille préparée et les yeux de Mariette. Le diable tombé dans un bénitier n’aurait pas été plus embarrassé. Je voyais la tête qui s’en allait peu à peu, et enfin je compris que les choses étaient montées à un point satisfaisant, lorsque je m’aperçus qu’il avait oublié sa main dans la main de sa voisine. Au lieu de nous regarder, comme il faisait un moment auparavant, avec des yeux tout effarés, il considérait Mariette d’un air qui eût pu la faire devenir plus rouge qu’elle n’était, si c’eût été possible ; car je crois que la farceuse s’était grimpée aussi de bonne foi, et qu’outre la beauté de l’abbé, qui l’avait charmée de prime abord, elle avait un peu bu dans son verre de ce vin d’apothicaire que j’avais si bien arrangé. Sûr à peu près de mon affaire, je fais signe aux autres, et les voilà qui se lèvent, celui-ci pour aller regarder à la fenêtre, celui-là pour aller chercher une bouteille, tel du sucre, tel n’importe quoi, mais les uns après les autres pour n’avoir l’air de rien, jusqu’à moi, qui en sortant fermai la porte à double tour, quoique assurément la précaution fût inutile. L’abbé n’était pas dans des mains à le laisser échapper, et je connaissais trop Mariette pour n’être pas sûr qu’il sortirait de chez elle damné comme un juif… »

— Quoi ! dit Luizzi en interrompant le récit de Ganguernet, vous avez usé de pareils moyens pour commettre un crime si abominable ?

— Allons donc ! dit Ganguernet, histoire de rire, mon cher Monsieur ! Est-ce que vous croyez à la vertu de tous ces farceurs de prêtres, qui ont des nièces et des petits-neveux dont ils font des enfants de chœur ? Celui-là était peut-être assez jeune pour croire encore à toutes les bêtises de la religion, mais ça ne lui aurait pas duré longtemps, et, si ce n’eût pas été Mariette, ç’aurait été quelque vieille dévote qui l’aurait déniaisé d’une manière moins agréable. D’ailleurs, moi, je ne cache pas mon opinion : je suis libéral et je déteste les jésuites, et je ne me repentirai jamais d’avoir fait une bonne charge à des gueux qui voudraient rétablir chez nous la dîme et les billets de confession.

— Mais, dit Luizzi avec une vive impatience, car il sentait que lui moins qu’un autre pouvait répondre à l’inepte grossièreté de cet homme, qu’arriva-t-il de tout cela ?

— Ah ! voici le drôle de l’affaire ! répondit Ganguernet ; je continue :

« Après avoir laissé passer une heure ou deux pour donner aux fumées du vin et autres le temps de s’évaporer, je