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entendu parler de cela, il y a trois ou quatre ans, vous, monsieur Faynal ?…

— Hum ! hum ! dit le notaire, il y a trois ou quatre ans, est-ce qu’il s’est passé quelque chose d’extraordinaire à Pamiers ?

— Est-ce qu’il se passe jamais quelque chose d’extraordinaire à Pamiers ? dit Ganguernet ; c’est à Toulouse, c’est l’histoire de l’abbé Sérac. Vous connaissez l’abbé Sérac ?

— Vous voulez dire M. de Sérac, Adrien-Anatole-Jules de Sérac, fils du marquis Sébastien-Louis de Sérac ? Si je ne me trompe, je ne connais pas d’autre Sérac vivant encore.

— Eh bien ! c’est celui-là même ; seulement il paraît que vous le connaissez en sa qualité d’homme, et non en sa qualité de prêtre, ce qui est bien différent.

— La dernière fois que je l’ai vu, dit l’ex-notaire en fronçant le sourcil et en clignant les yeux comme pour regarder au loin dans ses souvenirs, la dernière fois que je l’ai vu, il y a dix ans, c’était un beau jeune homme de vingt-cinq ans, fort amoureux, fort peu disposé à entrer dans les robes noires. Hé ! ma foi, je crois que je pourrais bien préciser la date, ajouta le notaire en appuyant son index sur son front : c’était, pardieu ! l’avant-veille du jour où fut signé le contrat de mariage de mademoiselle Lucy de Crancé, dont j’étais le notaire, avec M. le marquis du Val ; et puisque vous m’y faites penser, je me rappelle, à propos de ce mariage, une scène bien extraordinaire que je vais vous raconter.

— Chacun son tour, s’écria Ganguernet ; si vous dites votre histoire, je garde la mienne.

— Comme il vous plaira, reprit M. Faynal en se remettant dans son coin ; seulement tâchez de ne pas m’endormir, parce que, lorsque je dors, je rêve à ma femme, et ce n’est pas la peine alors de l’avoir quittée. D’ailleurs, je ne tiens pas beaucoup à vous faire ce récit, cela me ramène à un temps qui a été si malheureux… si malheureux pour moi, le temps où j’étais notaire, que je ne suis pas plus pressé d’en parler ou d’en entendre parler qu’un galérien du bagne.

— Pardon, Monsieur ! dit Luizzi, je crois que votre histoire sera fort intéressante, et je serai, pour ma part, très-charmé de vous l’entendre raconter ; cela n’empêchera pas monsieur Ganguernet de nous dire la sienne.

Or, Ganguernet commença ainsi :

« C’était il y a trois ans à peu près ; je me trouvais à Toulouse, un jour de Fête-Dieu où il y avait grande procession. Moi et quelques autres farceurs nous nous étions postés, pour la voir passer, dans une maison dont je ne vous dirai