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plus subversif de votre morale humaine et qui sert bien mieux mes intérêts de Diable. Je donnerais tous les crimes d’un siècle pour une mauvaise idée ; aussi je viens de condamner deux êtres d’une nature puissante et active à mener une vie d’exception, une vie exilée du monde, une vie en guerre avec la religion, le mariage et le respect des inégalités sociales. L’un de ces êtres est une femme pleine de passions, de volonté et d’ambition, malgré l’obscurité de son origine. Déjà elle a plus de regrets de son avenir perdu que de remords de son crime. Encore huit jours de sagesse dans cette âme pleine de ressources vives et soudaines, et Henri le capitaine devenait son mari, et elle eût fait peut-être d’Henri un homme distingué, considérable, illustre, pour être avec lui une femme distinguée, considérable, illustre. Maintenant cela lui est impossible, car Jeannette n’est pas une de ces filles qui croient le repentir une force. Jetée dans une position perdue, elle voudra imposer cette position au monde.

— Et pour cela sans doute elle poussera Fernand à commettre des fautes graves et peut-être des crimes ?

— Oui, vous devriez, selon votre morale, appeler cela des crimes.

— Me les feras-tu connaître ?

— Tu n’auras pas besoin de moi.

— Comment en serai-je informé ?

— Tu liras un jour les ouvrages de Fernand, et tu le retrouveras peut-être.

— Comment ?

— Je le destine à être homme de lettres.


XII

COMMENCEMENT D’EXPLICATION.


Le voyage continua, et naturellement la conversation s’établit sur l’événement qui venait de s’accomplir. Chacun en prit occasion de raconter des aventures plus ou moins extraordinaires dans lesquelles il avait été témoin ou acteur. On comprend aisément que Ganguernet dut être plus fécond qu’un autre en récits de cette espèce. Parmi ceux dont il fatigua le petit cercle de ses auditeurs, il en est un que Luizzi écouta avec un vif intérêt de curiosité.

— C’est une bonne farce, une excellente farce, dit Ganguernet, et je n’ai jamais tant ri de ma vie. Vous devez avoir