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vous me proposez, vous trouverez bon que je fasse quelques dispositions avant d’y marcher.

Puis, sans écouter ce que son adversaire lui répondait, il adressa la parole à Luizzi d’un ton doux et poli :

— Serez-vous assez bon, lui dit-il, pour me servir de témoin ? Je désirerais vous parler un moment ; si vous vouliez prendre une place auprès de moi dans le cabriolet, vous m’obligeriez.

L’arrangement fut accepté, et, le conducteur s’étant retiré sur l’impériale, Armand se trouva avec Fernand et l’Indien de Berlin. Henri était remonté sur les chevaux et les pressait de toute sa fureur ; la lourde voiture courait comme la calèche la plus légère.

— Avant de vous apprendre, dit Fernand, le secret de ce qui vient de se passer, permettez-moi de vous demander quelques petits services et d’espérer que vous me les rendrez. J’ai à écrire plusieurs lettres… que vous voudrez bien remettre à Paris ?

Sur un signe de consentement, Fernand continua :

— Vous ferez décharger mes bagages pendant que j’écrirai, et, en arrivant au relais, vous serez assez bon pour me faire préparer des chevaux de poste. Après le combat, je veux changer de route, quitter celle de Paris, où je n’irai pas.

Le baron marqua quelque étonnement de cette résolution, et surtout de cette prévoyance tranquille.

— Vous vous étonnez, lui dit Fernand, de ce que je parle si résolument d’une rencontre dont l’issue vous paraît douteuse ? Voyez cet homme ! ajouta-t-il en désignant Henri du doigt, cet homme est mort aussi infailliblement que s’il était déjà dans la tombe.

— Lui ! s’écria Luizzi.

— Oui, dit Fernand. Ils appellent courage l’ivresse de la colère ; je tuerai cet homme, vous dis-je ! Quand je l’ai regardé tout à l’heure, j’ai lu sa mort dans ses yeux. Voyez, il fait voler notre voiture ; cet homme est trop pressé de se battre, il a peur. Mais n’en parlons plus, c’est lui qui le veut… Maintenant, ajouta-t-il avec un accent presque moqueur, je veux me justifier à vos yeux de ce que tous sans doute vous appelez mon crime. Les circonstances seules m’en ont inspiré la pensée, et seules elles prêtent à mon action un caractère affreux de profanation. Au fond, je me crois moins coupable d’une demi-heure de délire que cet homme qui veut ma vie et qui depuis six mois marche avec persévérance dans une voie de séduction.