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Luizzi cependant cherchait à deviner ce que le Diable avait à faire de cette servante d’auberge et de ce jeune homme. Leur absence commençait à être remarquée, lorsqu’un bruit très-vif se fit entendre dans la cuisine qui précédait la salle à manger. Le nom de Jeannette, violemment prononcé, frappa plusieurs fois l’oreille des voyageurs ; ils voulurent savoir quelle pouvait être la cause de ce tumulte, et ils entrèrent tous dans la cuisine au moment où Fernand rentrait dans la salle à manger par une autre porte.

Un jeune homme de vingt-cinq ans environ, décoré et en costume de chasse, tenait Jeannette par le bras, avec une violence que rien ne saurait exprimer.

— Donne-moi cette clef, s’écria-t-il, donne-la-moi !

La malheureuse fille, pâle et immobile, le regardait sans répondre et comme fascinée par un charme ; cinq ou six pièces d’or tombées à ses pieds attiraient les regards avides de quelques paysans qui se parlaient chaudement ; la maîtresse de l’auberge, le visage hagard et enflammé, s’écriait :

— La clef est dans la poche de son tablier, prenez-la, monsieur Henri, prenez-la.

Ce Henri, que la fureur avait d’abord rendu incapable d’aucune réflexion, finit par comprendre ce qu’on lui disait, et, fouillant brutalement dans les poches du tablier de la pauvre Jeannette, il se précipita comme un furieux vers l’escalier qui conduisait au premier étage. Les voyageurs s’avançaient pour demander l’explication de cette scène de violence, lorsque le baron, de la porte de la salle à manger près de laquelle il était demeuré, vit le jeune homme décoré s’élancer d’un seul bond du haut de l’escalier. Pendant quelques secondes il promena autour de lui des regards furieux. Un paysan s’approcha et lui dit :

— Eh bien ?

— C’est vrai.

— Dans cette chambre ?

— Oui, dans cette chambre.

— Sacrilége et infamie !

— Possible ! dit un autre.

À ce moment, Luizzi crut reconnaître ce petit rire aigre dont lui-même avait été poursuivi :

— Mais que diable y a-t-il ? dit Ganguernet.

— Là, dans cette chambre, répétait le paysan, dans cette chambre où est le lit du pape !

— Bon ! s’écria Ganguernet, qui comprit alors ; fameux ! c’est une idée.

Mais toutes les voix des paysans répondirent par des cris de fureur et de malédiction. Ils s’élancèrent vers Jeannette,