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mait, c’était un homme sans dignité. La clientèle l’abandonna par les femmes, ostensiblement ou d’une manière cachée. M. Litois s’alarma sérieusement de ce discrédit et usa de tous ses moyens pour le relever ; mais, avant tout, il songea à s’assurer le payement de sa charge, il annonça à son cessionnaire la cliente qu’il lui avait promise : elle devait arriver dans deux mois. Depuis sa mésaventure, Eugène, qui n’osait plus se montrer dans les salons un peu choisis, avait contracté l’habitude d’aller chez quelques clients modestes. Il rencontra chez l’un d’eux une fille d’une ravissante beauté, d’une modestie suprême, d’un caractère flexible et doux, un ange. Elle ne vit d’Eugène que les bonnes grâces du jeune homme, l’élégance des manières, la politesse de l’esprit, la bonté du cœur ; elle l’aima, ils s’aimèrent, et Eugène, dans un transport d’amour où il oublia ses cruelles obligations, lui jura de l’épouser. Elle le crut, et la pauvre Sophie… Mais ceci est une histoire à part et qu’il ne me convient pas que tu saches encore. Je reviens à Eugène Faynal… Le lendemain de cette sainte promesse, Eugène reçut une invitation à dîner de M. Litois. Le malheureux s’y rendit sans défiance. À peine est-il arrivé, que l’ancien patron le fait entrer mystérieusement dans un cabinet de travail, et lui annonce qu’il va voir sa future. Eugène pâlit :

— Mais je ne le savais pas, dit-il.

— Comment ! vous ne le saviez pas ? Voilà deux mois que vous êtes prévenu.

— Mais…

— Comment, mais !… Avez-vous oublié que le terme de votre premier payement de cent mille francs est échu, et que, si votre mariage n’est pas conclu d’ici à huit jours et le payement fait, je vous dénonce à la chambre des notaires ?

— Monsieur, c’est une barbarie !

— Comment, une barbarie ? Je vous donne une femme qui vous apporte trois cent mille francs de dot !… Mais, mon cher, vous êtes fou !

Eugène pensa que véritablement il était fou, selon les affaires, et il se laissa conduire au salon. Il entre, il regarde, il voit, ô surprise ! une jeune fille, belle, charmante, gracieuse. Malgré son amour, il tremble d’un doux espoir.

— Où est votre tante ? dit le vieux notaire.

— Me voici ! répond une voix aigre, sortant d’une face maigre.

— Mademoiselle Dambon, je vous présente notre futur.

Eugène s’inclina avec respect.

— Mademoiselle, laissez-nous, dit le notaire à la belle enfant, nous avons à parler d’affaires.