Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Et à son tour il attaque son frère avec une rage inouïe.

À ce moment, personne ne pouvait rien pour les séparer : ils étaient enfermés dans la cour, et la malheureuse Léonie s’était cassé la jambe en tombant. C’était un épouvantable combat. Déjà le sang des deux frères coulait ; il semblait que ce ne fût que pour accroître leur fureur. Cependant le jeune chasseur était arrivé au sommet du mur, et il allait sauter dans la cour, quand il vit quelques-uns de ses amis accourir. Ganguernet était à leur tête ; il s’approche en lui disant :

— Vous criez comme un homme qu’on écorche, nous vous avons entendu d’un quart de lieue. Qu’est-ce qu’il y a donc ?

À la vue de cet homme, le chasseur s’élança vers lui, le saisit à la gorge, et, le poussant avec fureur contre la grille, il lui cria à son tour :

— Regardez : histoire de rire, Monsieur, histoire de rire !

M. de B…, percé d’un coup d’épée, gisait à côté de sa femme.

— Et qu’est-il arrivé de cette fatale rencontre ? dit Luizzi.

M. de B… est mort, Ernest a disparu, et madame de B… s’est empoisonnée le lendemain de cet horrible duel.

Comme le Diable finissait, Ganguernet se retourna en murmurant : Histoire de rire !

— Mais c’est un infâme misérable que cet homme ! comment quelqu’un lui parle-t-il encore ?

— Bah ! mon cher, qui sait cela ?

— Tout au moins ce jeune chasseur à qui Ganguernet a fait sa confidence.

— Mais, repartit sèchement le Diable, si ce jeune chasseur a fait une action non moins abominable que celle de Ganguernet ; s’il a perdu une femme et en a tué une autre par un lâche mensonge, et si ce Ganguernet se trouve par hasard pouvoir ajouter à l’initiale d’un nom, cité dans un billet d’une certaine dame Dilois, les lettres qui diront quel est le gai calomniateur qui a commis ces crimes, le jeune chasseur se taira et tendra la main au misérable infâme.

— Quoi ! dit Luizzi, ce spectateur ?…

— C’était toi, mons baron, toi qui n’as rien dit.

Armand oublia tout ce qu’il venait d’entendre ; une seule chose le frappa, et il s’écria tout joyeux :

— Tu vois bien que tu me racontes ma vie passée.

— En tant qu’elle se mêle à celle des autres, très-volontiers.

— Oh ! alors, dit le baron transporté ; car il espérait, en s’informant