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de te les apprendre quand le temps aura durci ton cœur et cicatrisé ton remords ? c’est pendant que l’un souffre et que l’autre saigne qu’il faut que tu les apprennes. Suis-je donc ton esclave pour t’obéir ? Ne sais-tu pas, malheureux, que celui qui achète un assassin lui est vendu ? Toi qui as acheté le Diable, tu m’appartiens.

En disant cela, Satan, dont la forme perdue dans l’ombre de la chambre avait repris quelque chose de son infernale majesté, Satan souriait de ce bel et effrayant sourire qui fait pitié à Dieu, tant il lui rappelle la grandeur de son bel ange chéri qu’il a été obligé de punir, et qui a laissé en son cœur divin une blessure éternelle, l’impossibilité de lui pardonner jamais. La pauvre et misérable nature de Luizzi n’était pas capable de soutenir ce sourire ; il lui entrait dans le cœur comme ferait une vis dentelée qui tourne et déchire.

— Grâce ! dit-il, grâce ! Je t’entendrai quand tu voudras.

— Soit, je choisirai l’instant. Et que me donneras-tu ?

— Un mois de ma vie.

Le Diable se prit à rire, et répliqua :

— Es-tu sûr d’avoir un mois de reste dans ta bourse, pour l’offrir si fièrement ?

— Dieu, mon Dieu ! s’écria Luizzi en cherchant le coffre-fort de sa vie sous son oreiller.

Il le trouva, et il lui parut presque vide.

— Suis-je donc si près de mourir ?

— L’avenir n’est pas compris dans notre marché, et je n’ai rien à te répondre ; il n’y a que le passé, et le passé je vais te le dire.

Il commença alors d’un ton dégagé :

— Cette madame du Val que tu as assassinée…

— Assez, assez ! dit Luizzi d’une voix mourante.

Un horrible vertige tournoyait dans la tête d’Armand, la fièvre battait dans son cerveau, des fantômes pâles et décharnés se pressaient autour de lui, sa raison s’en allait. Il eut encore plus peur de la folie que de la mort, et il dit au Diable :

— Tiens, prends, et laisse-moi.

Le Diable s’empara de la bourse et l’ouvrit. Armand, à cet aspect, s’élança pour la ressaisir ; mais il resta cloué à sa place, il vit les doigts du Diable se glisser dans la bourse et prendre une des pièces. À ce moment un froid de glace saisit Luizzi au cœur, toute vie s’arrêta en lui, il ne sentit plus rien.

Trois heures sonnaient.