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ouvrir son cœur et donner un but à ses rêves ; il s’est trouvé là, devant elle, au moment où son âme demandait à s’élancer à quelque chose qui la soutînt. Mais Léon était bien au-dessous de la passion qu’il a fait naître ; s’il l’eût connue, il ne l’eût pas comprise. Léon a oublié Henriette qu’il croit morte. Léon est marié, Léon a des enfants qu’il appelle Nini et Lolo, Léon engraisse, Léon a du ventre, Léon boit deux petits verres d’eau-de-vie après son dîner, Léon vient d’assurer sa fortune en faisant faillite ; si Henriette avait été libre de donner sa vie à Léon, elle eût été plus malheureuse que dans la tombe, car dans la tombe elle n’a vu mourir que les espérances d’un bonheur qu’elle croyait au ciel, et dans la vie elle eût vu s’éteindre la religion de son cœur et sa foi dans l’amour.

Satan prononça ces paroles avec une sorte d’amertume, et Luizzi, le contemplant avec attention comme si son regard eût pu pénétrer dans l’infernale pensée du démon, lui dit :

— Tu considères comme un malheur de perdre sa foi et sa religion ?

— C’eût été un malheur pour Henriette, voilà tout ce que j’ai voulu dire ; car je méprise fort les théories générales avec lesquelles on pose des principes absolus qui ne vont pas plus à tout le monde que le même habit à toute une population. C’est comme si tu voulais juger de madame du Val par madame Buré, parce que toutes deux se sont données à un homme en quelques heures.

— Oh ! reprit Luizzi, est-il vrai que Lucy soit morte, et cet article de journal… ?

— Tout cela est vrai.

— Et je l’ai assassinée !

— L’arme était chargée, tu as tiré la détente.

— Elle était donc bien à plaindre ?

— Oh ! oui, celle-là a été bien à plaindre ! s’écria Satan, et tu vas en juger.

— Pas ce soir, reprit Luizzi, plus tard.

— Non, baron, tu m’entendras, je t’ai prévenu. Une fois que tu auras demandé une confidence, t’ai-je dit, il faudra la subir jusqu’au bout.

— Je le sais, mais je puis m’exempter de cette obligation.

— En me donnant quelques-unes de ces pièces renfermées dans cette bourse.

— Un mois de ma vie ?

— Non, non, oh ! ce n’est pas pour si peu de chose que je t’épargnerai le récit du mal que tu as fait.

— Tu vois bien que je n’ai pas la force de l’entendre.

— Je te la donnerai.

— Je cacherai ma tête dans mes mains et je boucherai mes oreilles.

— Ma voix percera tes mains.

— Satan, tais-toi, je t’en supplie ; je ne refuse pas d’écouter ces lamentables histoires, mais plus tard.

— Et que m’importe