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Luizzi eût tout le temps de l’examiner, et ne le reconnut pour aucun des domestiques de la maison de M. Buré. L’air impertinent et insoucieux du faquin lui déplut souverainement. D’ailleurs, les malades sont comme les femmes, ils détestent qu’on s’occupe d’autre chose que d’eux. L’humeur de Luizzi monta au plus haut degré, quand ledit valet, qui lisait son journal avec un petit sourire blagueur sur le bout des lèvres, à travers lequel il faisait glisser un petit sifflotement, se mit à murmurer ce mot : Très-drôle, très-drôle ! — Il paraît que ce que vous lisez là est fort amusant ? dit Luizzi avec colère.

Le valet regarda Luizzi de côté en clignant les yeux, et répondit :

— Jugez-en vous-même, monsieur le baron.

« Hier un duel a eu lieu, un duel entre M. Dilois, marchand de laines, et le jeune Charles, son commis. Celui-ci, atteint d’une balle dans la poitrine, a succombé ce matin. On se demandait quelles pouvaient être les causes de ce duel, lorsque le départ subit de madame Dilois est venu les expliquer à tout le monde. »

— Grand Dieu ! s’écria Luizzi en se levant sur son séant, Charles tué ?

Le domestique continua sa lecture.

« On prétend que les propos de la femme d’un de nos plus riches notaires ne sont pas étrangers à la découverte que M. Dilois a faite des rapports intimes que sa femme entretenait avec le jeune Charles. »

— Quoi ! c’est écrit dans ce journal ? s’écria Luizzi stupéfait. — Oh ! ce n’est pas tout, répondit le domestique, écoutez :

« Dix heures du soir. Nous apprenons un accident peut-être encore plus affreux. Madame la marquise du Val vient de mettre fin à ses jours en se précipitant de l’étage le plus élevé de son hôtel. Une circonstance extraordinaire de ce suicide, et qui semble se rattacher par des liens inexplicables à l’affaire de M. Dilois, résulte d’un billet trouvé dans la main de la marquise. Voici les quelques lignes de ce billet : « Cet A… est un infâme, il n’a pas tenu la promesse qu’il t’avait faite, il a parlé. Il m’a perdue, moi… Et toi, toi !… Pauvre Lucy, que je te plains ! Signé : Sophie Dilois. » Chacun se demande quel est l’infâme désigné par l’initiale A… Est-ce celle d’un nom de baptême ou d’un nom de famille ? D’un autre côté, on s’étonne de ce tutoiement entre deux femmes