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germe pas dans son esprit ; il faut qu’il puisse y entrer sans qu’aucun cri l’avertisse, sans qu’aucune plainte lui révèle que ces murs renferment un être vivant. Henriette, pour cela il faut être à moi ou il faut mourir.

— Mourir ! mourir ! s’écria Henriette.

— N’oublie pas, malheureuse, que mon crime est celui de ta famille, qu’après en avoir été les complices involontaires, ils en ont été les complices forcés ; qu’après avoir permis qu’on te cachât ici durant quelques jours, ils ont laissé s’écouler des semaines, puis des mois, puis des années. Mon crime passé est donc devenu le leur ; le crime que je pourrais commettre, ils le partageront de même. N’oublie pas que ce n’est pas moi seulement que tu enverrais à l’échafaud, mais ton père, ta mère, ton frère !

— Eh bien, soit ! s’écria Henriette. Que ceux qui ont commencé ma mort par tes mains, achèvent ma mort par tes mains ! Sans pitié pour eux comme sans pitié pour toi, je traînerai père, mère, frère sur l’échafaud, si je le puis. Ne comprends-tu pas que tu viens de relever mon espérance abattue ? un homme est ici, un homme que tu soupçonnes, un homme qui erre peut-être autour de ce pavillon, un homme qui peut m’entendre. Oh ! si Dieu veut qu’il en soit ainsi, qu’il vienne, et puissent mes cris percer les murs de cette prison… À moi ! à moi !

Henriette se mit à pousser des cris si aigus, que Luizzi, emporté par cet horrible spectacle, fit un pas en avant comme pour répondre à ce douloureux appel. Félix, épouvanté, poursuivait Henriette en lui criant :

— Silence ! malheureuse, silence !

À ce moment, Henriette se trouva devant la porte qui conduisait hors de cette affreuse prison ; elle l’ouvrit par un mouvement rapide et désespéré, puis s’élança en redoublant ses cris. Dans un moment indicible de colère et de terreur, Félix prit sur la table un couteau qu’il y avait placé, et déjà il était près d’atteindre Henriette sur les premiers degrés d’un escalier étroit et tortueux, quand Luizzi, oubliant par quelle illusion surnaturelle il assistait à cette terrible scène, se précipita sur Félix :

— Arrête, misérable ! lui cria-t-il, arrête !

Au moment où il lui semblait qu’il allait saisir le capitaine, Luizzi trébucha et tomba en éprouvant une commotion violente. Des douleurs aiguës se mêlaient au lourd étourdisse-