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dant qu’un vague sentiment d’espérance qui me prenait ainsi dans mes heures de solitude. Je ne sais pourquoi je regardais avec une curiosité nouvelle les enfants de ma sœur. Je me remettais en mémoire leur visage et leurs cris aux premiers jours de leur naissance. Je les prenais avec amour sur mes genoux, je les y berçais en cherchant à me rappeler les chansons de leurs nourrices. Puis, un soir, comme j’étais à genoux dans ma chambre, priant Dieu dans toute la ferveur du désespoir, lui demandant de détourner de moi le malheur que je pressentais, lui promettant en mon âme de racheter ma faute par une vie de pénitence et de vertu, je sentis une autre vie s’agiter dans la mienne.

« Ô grâce du Seigneur, qui avez mis tant d’amour dans le cœur des femmes, vous en avez mis encore plus dans leurs entrailles ! Misérable fille perdue que j’étais, je ne puis dire de quel cri d’amour je saluai cet être vivant en moi pour devenir le témoin irrécusable de mon crime ; je ne puis dire ce que je me sentis de saints devoirs à remplir envers cette créature qui ne pouvait naître que pour me déshonorer ou me tuer. Ce furent ces devoirs qui me rappelèrent à la vie en m’arrachant à l’horrible abattement auquel je me laissai aller. Depuis deux mois que Léon était parti, je n’avais point de ses nouvelles et l’on évitait de me parler de lui, quoique je devinasse à certains chuchotements que mon sort était sans cesse en discussion parmi ceux de ma famille. Je m’étais préparée à ce qui m’arrivait, je savais qu’on me cacherait toutes les démarches de Léon jusqu’à ce qu’il eût triomphé des obstacles qui nous séparaient ; j’étais patiente parce que j’avais foi en lui. Mais quand je ne fus plus seule, quand je dus craindre pour deux existences frappées du même malheur, mes angoisses devinrent affreuses, mes inquiétudes dévorèrent mon sommeil, et je cherchai à percer le mystère qui m’entourait. Un mois entier se passa ainsi, un mois sans que rien m’avertît que les intentions de ma famille fussent changées à mon égard. J’étais au milieu d’elle comme une jeune fille triste d’un fol amour, et à qui on laisse par pitié la liberté de sa tristesse. On était affectueux avec moi, on allait au-devant de mes désirs quand le hasard me faisait prononcer un mot qui avait l’air d’un désir ; mais on ne venait pas à mon cœur.

« Ni ma mère, ni mon père, ni Hortense ne s’approchaient jamais de moi pour me tendre la main, en me disant que