Tout le monde peut avoir une clochette d’argent, tout le monde peut l’agiter à deux heures précises du matin en prononçant ce mot : Viens ! mais vraisemblablement il n’arrivera à personne ce qui arriva à Armand de Luizzi. La clochette qu’il avait secouée vivement ne rendit qu’un son faible et ne frappa qu’un coup unique qui vibra tristement et sans éclat.
Lorsqu’il prononça le mot : Viens ! Armand y mit tout l’effort d’un homme qui crie pour être entendu de loin, et cependant sa voix, chassée avec vigueur de sa poitrine, ne put arriver à ce ton résolu et impératif qu’il avait voulu lui donner ; il semblait que ce fût une timide supplication qui s’échappât de sa bouche, et lui-même s’étonnait de cet étrange résultat, lorsqu’il aperçut, à la place qu’il venait de quitter, un être qui pouvait être un homme, car il en avait l’air assuré ; qui pouvait être une femme, car il en avait le visage et les membres délicats ; et qui assurément était le Diable, car il n’était pas entré, il avait simplement paru. Son costume consistait en une robe de chambre à manches plates, qui ne disait rien du sexe de l’individu qui le portait.
Armand de Luizzi observa en silence ce singulier personnage, tandis que celui-ci se casait commodément dans le fauteuil à la Voltaire qui était près du feu. Le nouveau venu se pencha négligemment en arrière et dirigea vers le foyer l’index et le pouce de sa main blanche et effilée ; ces deux doigts s’allongèrent indéfiniment comme une paire de pincettes et prirent un charbon. Le Diable, car c’était le Diable en personne, y alluma un cigare qu’il trouva sur la table. À peine en eut-il aspiré une bouffée, qu’il le rejeta avec dégoût et dit à Armand de Luizzi :
— Est-ce que vous n’avez pas de tabac de contrebande ?…
Armand ne répondit pas.
— En ce cas, acceptez le mien.
Et il tira de la poche de sa robe de chambre un petit porte-cigares d’un goût exquis. Il prit deux cigarettes, en alluma une au charbon qu’il tenait toujours, et la présenta à Luizzi. Celui-ci le repoussa du geste, et le Diable lui dit d’un ton fort naturel :
— Ah ! vous êtes bégueule, mon cher ; tant pis !
Puis il se mit à fumer, sans cracher, le corps penché en arrière et en sifflotant de temps en temps un air de contre-