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« — Tu m’aimes, n’est-ce pas ? tu m’aimes ?

« Un trouble inouï me monta du cœur à la tête ; il me sembla que ma pensée s’en allait, qu’un vertige me prenait et allait me faire tomber. Je répondis d’une voix que j’arrachai avec effort de ma poitrine.

« — Laissez-moi… laissez-moi…

« Il ne tint compte de ma terreur, et me prit dans ses bras. Je le repoussai sans le comprendre.

« — Non, lui dis-je, non !

« — Tu m’aimes, et tu seras à moi, reprit-il, à moi, mon Henriette bien-aimée, à moi alors, à moi maintenant, et je croirai à ton amour, et je croirai que tu m’aimes comme je t’aime, que ta vie m’appartient comme la mienne est à toi ?

« — Oui, lui dis-je, je vous l’ai juré ; je serai à vous, Léon, Léon, n’est-ce pas assez ?

« — Pourquoi me repousser ainsi ? reprit-il en se servant de sa force pour tenir mes mains captives, et je sentis ses lèvres sur les miennes.

« Je me levai tremblante, éperdue.

« — Non, non, non ! lui dis-je, refusant à mon trouble plutôt qu’à ses désirs ; car, j’en jure Dieu, j’ignorais ce qu’il me demandait.

« — Henriette ! Henriette ! reprit-il.

« — Ah ! m’écriai-je en exprimant un sentiment inouï d’épouvante, Léon, Léon, vous ne m’aimez pas.

« Et je me pris à pleurer.

« — Oh ! qu’as-tu dit, Henriette ? s’écria-t-il tristement en me ramenant près de lui. Je ne t’aime pas ! et pour cet amour cependant j’ai supporté six mois l’insolence de cet homme à qui tu dois appartenir ! pour ne pas élever un obstacle de sang entre nous, je ne l’ai pas tué, cet homme, qui a osé me dire que tu serais à lui !

« — Jamais !

« — Jamais, dis-tu ? mais il reste, et moi je pars, et toute ta famille sera autour de toi, qui te suppliera, qui te menacera, qui te dira que je ne t’aimais pas, qui te parlera contre moi. Et qui sait, peut-être, si, dans un jour de doute, de terreur et de faiblesse, tu ne succomberas pas, tu ne me trahiras pas ?

« — Léon, jamais !

« — Oh ! tu es trop forte contre mon amour pour ne pas être faible contre leur haine.