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« Je poussai un cri d’horreur et de mépris.

« — Qu’y a-t-il ? s’écria mon frère, qui m’avait suivie avec sa femme.

« — Un laquais qui force les meubles, m’écriai-je dans la fureur de mon indignation.

« — Henriette ! s’écria Félix, à qui la violence de mon injure ne laissa pas le temps de rougir de son infâme action.

« — Sortez, lui dis-je, sortez de chez moi ; je vous chasse de cette chambre.

« À ma voix, à mon aspect, mon frère et sa femme restèrent immobiles sur le seuil de ma porte. Leur rougeur attesta à Félix qu’ils étaient honteux pour lui de ce qu’il venait de faire. Et puis la colère avait dû me prêter un accent bien souverain, car le capitaine sortit sans prononcer une parole, la pâleur sur le front, la rage dans les yeux. Le regard que nous échangeâmes alors portait notre destinée à tous deux : ma haine et mon mépris éternels pour lui ; sa vengeance et sa haine éternelles pour Léon et pour moi. À peine Félix fut-il sorti, que je fermai ma porte, et que je pus l’entendre dire à mon frère :

« — Je n’ai pas trouvé une preuve.

« Une preuve ! Une preuve de quoi ? de mon amour ? il n’en était pas besoin ! je l’avouais, je le proclamais. C’était donc des preuves de mon déshonneur ? De mon déshonneur ? Oh ! vous qui lisez ce misérable récit, n’oubliez pas sur quel livre il est écrit ; comprenez par quel effroyable calcul il a été laissé, après beaucoup d’autres, à côté de ma solitude. D’abord ç’a été des pages moins horribles, d’abord un livre qui s’appelait Faublas, puis d’autres, beaucoup d’autres, corrupteurs assis au chevet de mon cercueil pour y infecter mon âme, et dont quelques pages ont sali mes regards jusqu’au moment où j’ai entrevu ce qu’ils voulaient dire. Aujourd’hui, je sais quelles preuves Félix cherchait, je sais ce que voulait dire ce mot déshonneur ! Mais alors, Dieu le sait, la virginité de ma pensée était aussi pure que celle de mon corps, et cet amour, dont ils me faisaient une honte, était un ange du ciel aux ailes blanches, qui n’avait pas encore touché la terre.

« Cependant, tout me disait que l’accusation de ma famille ne s’arrêterait pas où s’était arrêtée ma faute, et dans l’irritation où la sévérité des uns et l’audace insultante de l’autre m’avaient plongée, je cherchais cette faute ; je regrettais de