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Félix. Je reconnus, au son de sa voix, qu’il y avait chez lui un parti pris de se modérer.

« — Tous vos vœux seront satisfaits, Monsieur, et je vais prier M. Buré de vous répéter ce que je viens de vous dire.

« — C’est-à-dire, s’écria Léon hors de lui, que vous allez me dénoncer !

« — Vous dénoncer ! monsieur Léon, et pourquoi ? Je vous crois un fort honnête homme, vous ne manquez ni d’assiduité ni d’intelligence ; mais, que voulez-vous, c’est peut-être un caprice, mais votre figure ne me revient pas, elle m’agace les nerfs.

« — Savez-vous, capitaine, que je peux prendre ceci pour une insolence ?

« — Et à quoi cela vous mènera-t-il ?

« — À vous en demander raison.

« — Je ne pourrai vous la rendre, mon bon ami. Quand votre père vous a envoyé chez d’honnêtes négociants, nous vous avons reçu en bon état de santé ; nous vous retournerons de même, comme d’honnêtes négociants que nous sommes. Puis, quand monsieur votre père nous aura avisés que vous êtes arrivé sans avaries, s’il vous convient de venir vous promener par ici, alors je vous rendrai toutes les raisons qu’il vous plaira de me demander.

« — J’y compte, répondit Léon avec un dédain qui, au milieu de mon désespoir, me fit plaisir, car il devait humilier Félix ; j’y compte, mon bon ami, comme vous dites ; mais en attendant, je vous avise, mon très-bon ami, que vous êtes un sot.

« Toute la résolution du capitaine céda à cette injure.

« — Misérable ! s’écria-t-il.

« — Eh ! venez donc, capitaine, venez donc ! il y a des épées chez moi.

« — Non, reprit Félix, qui se remit aussitôt, non, il faut d’abord vous chasser.

« Et craignant sans doute de céder à sa colère, il s’éloigna rapidement. Je voulus faire quelques pas pour aller vers Léon ; la force qui m’avait soutenue me manqua tout à coup, et je tombai évanouie. Quand je revins à moi, j’étais dans le salon de notre maison, entourée de toute ma famille. Les regards qu’on jetait sur moi étaient tous empreints d’une farouche sévérité. Mon frère seul me regardait avec quelque