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veille longtemps et silencieux, pour bondir soudainement sur sa proie et ne lui apparaître qu’avec la mort.

« Un matin, l’hiver était venu, je descendis dans le parc, j’allai me promener dans une allée qu’on découvrait de la fenêtre près de laquelle travaillait Léon. Je ne pouvais guère le voir, mais je savais qu’il me voyait, et je lui apportais ma présence. Le soir, à la veillée, il trouvait mille moyens de me dire entre nous tout ce que j’avais fait, mes moindres gestes, combien de fois j’étais passée : nous avions des signes convenus pour tout cela ; nous étions heureux de ces entretiens. Le matin dont je parle, Léon m’arrêta au détour d’un massif.

« — N’allez pas plus loin, me dit-il, le capitaine a fait enlever mon bureau de la fenêtre où il était, il se doute de notre amour. Je l’ai vu se diriger vers notre allée. Il va sans doute vous y espionner. Je me suis échappé pour vous prévenir.

« À ces mots j’aperçus Félix qui venait vers nous.

« — Fuyez ! dis-je à Léon.

« — Non, me dit-il, ce serait lui montrer que nous avons quelque chose à cacher. Calmez-vous, et répondez-moi comme je vous parlerai.

« Le capitaine nous avait vus. Cependant il ne hâta pas sa marche. Cette lenteur m’épouvanta : elle m’apprit qu’il était sûr de ce qu’il soupçonnait et de ce qu’il voulait faire. Du bout de la longue allée où il venait d’entrer jusqu’à nous, je crus sentir ses regards durs et glacés sur mon cœur. Lorsqu’il fut à quelques pas de Léon, celui-ci me dit avec calme :

« — Je m’occuperai, Mademoiselle, de copier cette musique nouvelle.

« — Je vous serai obligée, lui dis-je.

« Félix s’arrêta, et nous jeta un sourire de pitié et de mépris.

« — Monsieur Léon, dit-il, voulez-vous me suivre ? j’ai quelques ordres à vous donner.

« L’idée soudaine me prit de savoir ce qui allait se dire, et je répondis aussitôt :

« — Je vous laisse ensemble.

« Je feignis de me retirer rapidement, comme si je fuyais ; mais, grâce à l’épaisseur de nos charmilles d’if, je pus me rapprocher de l’endroit où Léon et Félix étaient restés. Le