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rendre heureux. C’était la veille du jour de ma naissance. Mon père, ma mère, mes frères, jusqu’à mes nièces me lutinaient en me menaçant de leurs cadeaux pour le lendemain.

« — Tu ne t’attends pas à ce que je te donnerai, disait l’un.

« — Tu verras si je connais ton goût, disait l’autre.

« Chacun se promettait de me faire un grand plaisir, Léon seul n’osait rien me dire. Il ne se vantait pas, il me regardait. Oh ! que c’est affreux de ne plus voir, de ne plus aimer ! Ô mon Dieu ! quand ouvrirez-vous ou fermerez-vous tout à fait ma tombe ?

« Léon me regardait. Mon Dieu, quel charme avez-vous donc mis dans les yeux de celui qu’on aime ? quelle lumière si céleste, quel rayon si éthéré en jaillit donc, qu’il pénètre dans l’âme comme un air qui fait vivre et qui parfume la vie ? Léon me regardait, et je sentais mon cœur se fondre en joie sous son regard. J’étais sûre qu’il avait pensé à moi. Le lendemain venu, après que tout le monde fut levé et fut venu m’apporter, ceux-ci des fleurs, ceux-là des bijoux, je descendis dans le jardin. Léon s’y trouvait. J’étais résolue à recevoir ce que son regard m’avait promis. Je m’approchai de lui : il était tremblant, il allait parler, lorsque Félix s’approcha et m’offrit une charmante parure. Léon se retira, mon regard le rappela. Je vis qu’il prenait une résolution, j’attendis.

« — Pardon, me dit-il, j’avais oublié… Ce matin, en courant dans le parc, j’ai trouvé ce mouchoir ; il est marqué à votre lettre, je crois qu’il vous appartient, je viens vous le rendre.

« Je fus blessée d’abord : il avait trouvé un de mes mouchoirs et il ne le gardait pas ! Je le pris sans le regarder et le remerciai sèchement ; il s’éloigna tout confus. En ce moment Hortense vint près de nous, et, m’arrachant vivement ce mouchoir, elle me dit :

« — Voyez la petite sournoise ! elle a fait son beau mouchoir avant moi, elle y a travaillé la nuit afin de l’avoir pour sa fête : ce n’est pas loyal. Mais comme il est joli ! je n’aurais pas cru qu’il vînt si bien, car tu étais bien distraite en y travaillant.

« Je n’avais pas compris d’abord ; mais, en regardant ce mouchoir, je vis qu’il était absolument pareil à celui que je