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« Seule je devinai la colère de Félix, car seule je compris que je venais de le rendre ridicule devant celui qu’il eût voulu anéantir ; cependant il se remit, et reprit avec assez de présence d’esprit, car il ne soupçonna pas un moment que je pusse mentir :

« — Vous êtes plus adroite à manier l’épée que la bêche, ma chère Henriette, car vous avez bien étrangement replanté tous ces beaux rosiers que vous aimiez tant.

« Léon fut tout interdit, et moi, qui voulais qu’il fût heureux comme je l’étais, je répondis :

« — Il me plaisent comme il sont.

« — Eh bien ! dit mon père, Henriette nous montrera cela après le déjeuner.

« Ce fut mon tour d’être embarrassée ; car j’avais bien vu Léon emporter mes rosiers, mais je ne savais où il les avait mis.

« — Volontiers, répondis-je à tout hasard, et comptant m’échapper avant tout le monde pour découvrir cet endroit.

« Pendant le déjeuner j’examinai le visage de Léon. Il n’osait croire sans doute à ce que ma conduite devait lui faire supposer. Peut-être, si je l’avais vu radieux, me serais-je repentie de m’être aussi imprudemment mise dans sa confidence, d’avoir accepté si complétement ce dévouement de bons soins ; mais il passait si rapidement d’une joie douce à une incertitude tremblante, que je lui pardonnai mon imprudence. La timidité de son espérance me charma. Moins il osait envers moi, plus je me sentais hardie envers lui.

« Cependant on continuait à me parler de mon jardin, et l’on me demanda quel endroit j’avais choisi pour l’y transporter.

« — Un endroit charmant, vous verrez.

« — Pour ma part, dit Félix, il m’a fallu suivre la trace de la roue de la brouette pour le découvrir.

« Je pensai que cet indice pourrait me guider, mais Félix ajouta :

« — Et si le jardinier eût eu fini de ratisser les allées comme à présent, je déclare que jamais je n’aurais été chercher un parterre de roses où vous l’avez caché.

« Le parc est assez grand pour que je fusse moi-même embarrassée de découvrir mon nouveau parterre. Je commençai à trembler de mon mensonge.

« — Mais où diable l’as-tu donc caché ? me dit mon père.