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sans qu’on eût vu exécuter les moindres travaux, et toujours le lendemain de la mort de chaque propriétaire successif du château. Un fait certain, c’est que chacune de ces croisées était celle d’une chambre à coucher qui avait été fermée pour ne plus se rouvrir du moment que celui qui eût dû l’occuper toute sa vie avait cessé d’exister.

Probablement, si Ronquerolles avait été constamment habité par ses propriétaires, cet étrange mystère eût grandement agité la population ; mais, depuis plus de deux siècles, chaque nouvel héritier des Luizzi n’avait paru que durant vingt-quatre heures dans ce château et l’avait quitté pour n’y plus revenir. Il en avait été ainsi pour le baron Hugues-François de Luizzi, et son fils François-Armand de Luizzi, arrivé le 1er janvier 182., avait annoncé son départ pour le lendemain.

Le concierge n’avait appris l’arrivée de son maître qu’en le voyant entrer dans le château ; et l’étonnement de ce brave homme s’était changé en terreur lorsque, voulant faire préparer un appartement au nouveau venu, il vit celui-ci se diriger vers le corridor où étaient situées les chambres mystérieuses dont nous avons parlé, puis ouvrir avec une clef qu’il tira de sa poche une porte que le concierge ne connaissait pas encore et qui s’était ouverte sur le corridor intérieur comme la croisée s’était ouverte sur la façade. On remarquait pour les portes la même variété que pour les croisées. Chacune était d’un style différent, et la dernière était en bois de palissandre incrusté de cuivre. Le mur continuait après les portes dans le corridor, comme il continuait à l’extérieur après les croisées sur la façade. Entre ces deux murs nus et impénétrables, il se trouvait probablement d’autres chambres ; mais, destinées sans doute aux héritiers futurs des Luizzi, elles demeuraient, comme l’avenir auquel elles appartenaient, inaccessibles et fermées. Celles que nous pourrions appeler les chambres du passé étaient closes aussi et inconnues, mais elles avaient gardé les ouvertures par lesquelles on y pouvait pénétrer. La nouvelle chambre, la chambre du présent, si l’on veut, était seule ouverte ; et, durant la journée du 1er janvier, tous ceux qui le voulurent y pénétrèrent librement.

Ce corridor, qui nous paraît un peu fantastique, ne parut qu’humide et froid à Armand de Luizzi, et il ordonna qu’on allumât un grand feu dans la cheminée en marbre blanc de