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moi, se montra gauchement sévère ; elle crut devoir se ranger du parti de Félix, qu’elle venait de blâmer, parce qu’elle supposa qu’il avait besoin d’être défendu dans mon cœur, et me dit avec autorité :

« — Henriette, je viens d’avoir un tort en blâmant la conduite de mon frère. N’en aie pas un plus grand en le condamnant légèrement.

« Cette admonestation me blessa ; et, profitant de ce que je n’avais rien dit qui put la motiver, quoique assurément je sentisse que je la méritais au fond du cœur, je répliquai avec aigreur :

« — Moi, condamner le capitaine Félix ! je n’ai pas parlé de lui, je n’ai pas même prononcé son nom.

« Ma façon de répondre blessa Hortense, et elle me dit sèchement :

« — Vous savez bien ce que je veux vous dire, Mademoiselle.

« — Ce que vous voulez me dire ? répétai-je avec humeur, tant il me semblait injuste de s’en prendre à moi d’une chose où je n’étais pour rien, en vérité, je l’ignore. Qu’ai-je à faire dans l’opinion que vous venez d’exprimer sur votre frère, et vous conviendrait-il de faire croire que c’est moi qui l’ai accusé de dureté ?

« — Vous ne l’avez pas dit, mais vous le pensiez, lorsque vous vous êtes écriée que ce serait une injustice de renvoyer M. Lannois à sa famille.

« — Je ne faisais que répéter ce que vous aviez dit.

« — Vous êtes bien raisonneuse, Henriette, me dit Hortense ; c’est le fait des gens qui ont tort.

« — Tort ! quel tort ? tort en quoi ? lui dis-je en sentant les larmes me gagner.

« Ma sœur, qui jusque-là ne m’avait regardée que d’un air sévère, s’approcha de moi, et, me prenant la main, elle me dit, après un silence assez long, durant lequel elle chercha à pénétrer jusque dans mon âme :

« — Henriette, ma sœur, prends garde d’être imprudente, et souviens-toi de ce que tu as promis. Félix t’aime.

« J’aurais voulu douter de mon cœur, qu’on m’aurait forcée d’y voir clair. Oui, je le pense encore, oui, peut-être sans cet avertissement aurais-je laissé se calmer, dans l’ignorance de ce qu’il était, ce trouble inconnu dans ma vie. Mais quand on lui eut donné un nom, quand on l’eut appelé amour, quand on lui eut mis sur le front sa couronne de feu, quand je sus qui