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« — J’avais bien vu tout de suite qu’il était fait de vos cheveux, et c’est pour cela…

« — Eh bien ! dit mon frère en se rapprochant, la paix est-elle faite ?

« — Tout à fait, lui répondis-je avec assurance.

« Et je m’apprêtai à passer mon cordon de cheveux à mon bras. Par un de ces avertissements du cœur que, même en ce moment, je ne pourrais expliquer, je levai les yeux sur Léon. Ses regards étaient attachés sur mes mains et suivaient attentivement le bracelet ; ses regards m’arrêtèrent, et, au lieu de l’attacher à mon bras, je le mis dans ma poche. Un triste sourire effleura les lèvres de Léon. J’avais donc compris qu’il mettait du prix à ce que ce cordon, qui avait entouré son bras, vînt entourer le mien, et il devina de même que je ne voulais pas lui accorder cette faveur.

« Ô frêles et doux souvenirs de ce saint amour que je lui ai voué, descendez dans ma tombe, jeunes et tendres comme vous avez été ! Revenez tous pour que mon œil, arrêté sur votre ombre légère, s’y repose de ses larmes et de l’aspect glacé de cette prison muette ! Faites-moi regarder doucement en arrière, moi devant qui l’espérance ne marche plus ! Souvenirs heureux ! oh ! que vous m’avez doucement bercé le cœur, lorsque je vous ai compris plus tard, lorsque, arrivée à l’aimer de toute la puissance de mon âme, j’ai senti que toutes ces fugitives inspirations avaient été les premiers tressaillements de la passion qui devait s’emparer de moi ! Oui, cet amour qui m’a pénétrée et brûlée dans toute la profondeur de mon âme, cet amour qui m’a égarée, c’est lui qui déjà me troublait du vent tiède de son aile. Depuis l’arrivée de Félix j’avais froid hors de moi et en moi, et j’ai fait comme l’enfant qui a froid, j’ai ouvert les plis de ma robe pour me réchauffer le sein à cette chaude haleine, et je l’ai respirée pour m’y baigner le cœur. Oui, c’était l’amour qui déjà, sans me parler, me montrait du doigt un chemin inconnu et qui m’a menée à la mort ! Hélas ! j’ai suivi ce sentier sans savoir ce que je faisais. Plus tard cependant j’ai compris que, si je l’avais bien voulu, j’aurais su ce que j’éprouvais ; car on ne change pas ainsi pour rien en un moment sans qu’il y ait autre chose dans la vie qu’une rencontre indifférente et un nouveau venu qui s’en ira.

« Tout l’effroi profond que m’avait causé Félix ne m’avait poigné le cœur que dans des heures de solitude et de jour ;