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dire que Ronquerolles semblait être bâti de fer, tant l’action des siècles l’avait respecté ; mais ce que je puis affirmer, c’est que l’état de conservation de ce vaste bâtiment était très-remarquable. On eût dit que c’était quelque caprice d’un riche amateur du gothique qui avait élevé la veille ces murs dont pas une pierre n’était dégradée, qui avait dessiné ces arabesques fleuries dont pas une ligne n’était rompue, dont aucun détail n’était mutilé. Cependant, de mémoire d’homme, on n’avait vu personne travailler à l’entretien ou à la réparation de ce château.

Il avait pourtant subi plusieurs changements depuis le jour de sa construction, et le plus singulier était celui qu’on remarquait lorsqu’on s’approchait de Ronquerolles du côté du midi. Des six fenêtres qui occupaient la façade de ce côté, aucune ne ressemblait aux autres. La première à gauche, lorsqu’on regardait le château, était une fenêtre en ogive, portant une croix de pierre à arêtes tranchées, qui la partageait en quatre compartiments garnis de vitraux à demeure. Celle qui suivait était pareille à la première, à l’exception des vitraux qu’on avait remplacés par un vitrage blanc à losanges de plomb, porté dans des cadres de fer mobiles. La troisième avait perdu son ogive et sa croix de pierre ; l’ogive semblait avoir été fermée par des briques, et une épaisse menuiserie, où se mouvaient ce que nous avons appelé depuis des croisées à guillotine, tenait la place du vitrage à cadre de fer. La quatrième, ornée de deux croisées, l’une intérieure, l’autre extérieure, toutes deux à espagnolette et à petites vitres, était en outre défendue par un contrevent peint en rouge. La cinquième n’avait qu’une croisée à grands carreaux et une persienne peinte en vert. Enfin la sixième était ornée d’une vaste glace sans tain, derrière laquelle on voyait un store peint des plus vives couleurs ; cette dernière fenêtre était en outre fermée par des contrevents rembourrés. Le mur uni continuait après ces six fenêtres, dont la dernière avait frappé le regard des habitants de Ronquerolles le lendemain de la mort du baron Hugues-François de Luizzi, père du baron Armand-François de Luizzi, et le matin du 1er janvier 182., sans qu’on pût dire qui l’avait percée et disposée comme elle l’était.

Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que la tradition rapportait que toutes les autres croisées s’étaient ouvertes de la même façon et dans une circonstance pareille, c’est-à-dire