Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tour de lui ; la prisonnière resta immobile, et Luizzi se souvint que ce qu’il voyait était bien loin de lui et qu’une puissance surnaturelle seule l’en avait rendu témoin. Mais une puissance humaine pouvait sauver cette infortunée de cette horrible prison, et, pour y parvenir, Luizzi voulut connaître les causes de ce malheur. Pour les connaître, il fallait lire le manuscrit qu’il avait sous les yeux ; il s’y décida, et voici ce qu’il lut :



MANUSCRIT.


VII

AMOUR VIERGE.


« J’ai déjà fait ce récit deux fois, mon bourreau me l’a enlevé ; je le recommence encore, et puisse Dieu me donner la force de l’achever ! car la vie de mon âme et de mon esprit s’en va comme celle de mon corps. Depuis longtemps je le relisais tous les jours, pour que le souvenir du monde vivant que j’ai connu ne s’effaçât pas entièrement en moi ; et cependant, malgré cet entretien constant avec mes souvenirs, je sens qu’ils se perdent et se confondent. Je me hâte donc, pour qu’il reste quelque chose de mon âme en ce monde, pour qu’on sache combien j’ai aimé, combien j’ai souffert. Ah ! oui, j’ai aimé et j’ai souffert ! Dans le passé perdu de ma vie et dans le présent, voilà les deux seules pensées qui brillent toujours pures au milieu de ce chaos de douleurs où ma tête s’égare : c’est que j’ai tant aimé et tant souffert ! Mon Dieu, mon Dieu ! si le long supplice auquel on m’a condamnée n’a pas tout à fait égaré ma raison et éteint ma mémoire, s’il est vrai que vos saintes paroles ont dit qu’il serait beaucoup pardonné à celle qui avait beaucoup souffert et à celle qui avait beaucoup aimé, prenez-moi en pitié, mon Dieu, et faites-moi mourir, mourir vite ! et que mon enfant…

« Tuerait-il mon enfant si je mourais ?… Oh ! oui, il le tuerait. Je vivrai. Faites-moi vivre, mon Dieu, quoi qu’il arrive ; car je sens que, dussé-je devenir folle, il y aurait